🏆Prix Goncourt 2010
Houellebecq m’a laissé assez perplexe sur ce coup là.
La carte et le territoire est le roman d’une vie, plus ou moins, de la maturité à la mort de Jed Martin, artiste incompris. Enfin, disons que son génie a été reconnu, que ses oeuvres se vendaient bien. Mais l’homme en lui-même est toujours resté seul. A chaque fois qu’on sent confusément que cette solitude pourrait peut-être disparaître, ne serait-ce qu’un tout petit peu, Houellebecq finit par nous détromper. Il reprend ainsi résolument le cliché de base à propos des artistes, à savoir qu’ils sont résolument différents, à la marge, qu’ils ne pensent pas comme les autres, et qu’ils ont un besoin dévorant de solitude pour vivre dans la plénitude de leur art. Jed Martin est peut-être un peu plus nuancé au début, mais vers la fin, c’est ainsi qu’il est représenté.
Mais, pour être parfaitement honnête, ce n’est pas l’histoire de Jed Martin, ses quêtes amoureuses et artistiques, ses errances interminables, qui m’ont vraiment captivée. Non, ce que j’ai trouvé intéressant par-dessus tout dans cette oeuvre, c’est l’humour noir de Houellebecq, surtout quand il parle de lui-même. J’ai eu l’impression, tout au long de ma lecture que l’auteur se moquait de son lecteur, qu’il s’amusait à le provoquer en brisant tout ce qu’il y a de politiquement correct dans le monde.
Un exemple : « C’était bien cela, se dit Jed; son père servait à présent de nourriture aux carpes brésiliennes du Zürichsee. »
Tout est évoqué avec une désinvolture, un regard définitivement extérieur qui heurte le lecteur. Contrairement à la grande majorité des auteurs, Houellebecq ne cherche pas du tout à rendre son roman vibrant d’émotion. Au contraire, le personnage est lointain, préférant développer des théories sur à peu près tout ce qu’il croise, du radiateur aux méthodes de photographie, que de s’intéresser aux sentiments, qu’ils soient les siens ou ceux des autres. Et on finit ce livre sans savoir s’il nous a vraiment intéressé. On ne pense rien de ce personnage, parce qu’il nous est encore bien trop lointain, même après la dernière page, même après sa mort, pour qu’on puisse en penser quoi que ce soit.
Houellebecq nous dépeint un monde désenchanté, moderne et sans surprise, un monde ennuyeux et déprimant la plupart du temps, d’où la magie est absolument exclue. Seule la magie de la création persiste, cet élan inexplicable qui fait que Jed se tourne tout à coup vers les cartes Michelin puis vers la peinture, puis enfin vers la vidéo. Il semblerait que dans ce monde industriel et touristique, où tout n’est que consommation, seule la création mérite un peu de considération.
Tout le reste n’est qu’ironie, moquerie, imagination. Les descriptions sont parfois vraiment drôles, mêlant des éléments totalement incongrus (aliens et lampadaires par exemple) – il faut dire que j’ai vraiment le même humour que Michel Houellebecq.
Je crois que je pourrais parler encore longtemps de ce livre, plutôt complexe dans sa simplicité. L’intrigue ne suit pas de lien logique, l’auteur ne raconte pas ce qui est normalement raconté (dans le cas de l’enquête policière, on en sait plus sur le piétinement que sur l’actuelle résolution). On pourrait dire que Houellebecq est à côté de la plaque, mais c’est un choix délibéré, et le message à en tirer n’en est que plus ambigu.
Je ne saurais pas dire si j’ai aimé ce livre ou pas. Une seule chose est certaine cependant, : il m’a définitivement engagée à réfléchir.
Si Jed Martin, le personnage principal de ce roman, devait vous en raconter l’histoire, il commencerait peut-être par vous parler d’une panne de chauffe-eau, un certain 15 décembre. Ou de son père, architecte connu et engagé, avec qui il passa seul de nombreux réveillons de Noël. Il évoquerait certainement Olga, une très jolie Russe rencontrée au début de sa carrière, lors d’une première exposition de son travail photographique à partir de cartes routières Michelin. C’était avant que le succès mondial n’arrive avec la série des « métiers », ces portraits de personnalités de tous milieux (dont l’écrivain Michel Houellebecq), saisis dans l’exercice de leur profession. Il devrait dire aussi comment il aida le commissaire Jasselin à élucider une atroce affaire criminelle, dont la terrifiante mise en scène marqua durablement les équipes de police. Sur la fin de sa vie il accédera à une certaine sérénité, et n’émettra plus que des murmures. L’art, l’argent, l’amour, le rapport au père, la mort, le travail, la France devenue un paradis touristique sont quelques-uns des thèmes de ce roman, résolument classique et ouvertement moderne.
Ça devait être bien pratique, quand même, cette croyance en Dieu: quand on ne pouvait plus rien pour les autres – et c’était souvent le cas dans la vie, c’était au fond presque toujours le cas, et particulièrement en ce qui concernait le cancer de son père- demeurait la ressource de prier pour eux.
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