🏆Prix Goncourt du Premier Roman 2010
Reinhard(t) Heydrich, le père de la Solution finale. Un homme à abattre sans aucun doute, alors même que son grand projet pour l’extermination des juifs reste encore inconnu. Sombre portrait de l’efficacité bureaucratique nazie pour le gouvernement tchèque en asile : l’opération « Anthropoïde » n’aurait pu rêver cible plus symbolique. Maintenant, à Jozef Gabčík et Jan Kubiš d’entrer en scène. Vont-il réussir à mener à bien leur mission? Vont-ils y survivre? Et plus inquiétant encore : l’auteur va-t-il arriver à reconstituer les faits?
Parce que oui, c’est un roman qui n’en est pas un. Plus que le récit de l’attentat contre Heydrich, HHhH est l’histoire de Laurent Binet écrivant un livre sur l’attentat contre Heydrich : l’histoire d’un écrivain à l’imagination fertile bataillant avec la vérité historique et l’art du roman, l’histoire d’un écrivain obnubilé par les faits et peu désireux d’arriver au terme de son récit. Il ne veut pas arriver au bout de sa quête sur « Anthropoïde », et c’est bien compréhensible. De nombreuses zones d’ombre demeurent encore lorsqu’il s’agit de cette mission suicide, et Laurent Binet les dévoile, sans essayer de masquer ses lacunes à coups de scènes imaginaires potentiellement véridiques ; il assume ses approximations, ses inexactitudes et ses erreurs, il les corrige au gré de ses (nombreux) chapitres.
HHhH, c’est l’Histoire, vue et étudiée par Laurent Binet. Le narrateur, extérieur à l’histoire, moitié romancier, moitié historien, et définitivement animé de sentiments très humains, nous donne son avis sur cet épisode, sur tous les épisodes qu’il raconte, avec ironie, second degré et parfois, sarcasme. Il se nourrit d’anecdotes diverses pour glisser dans son récit des traits d’esprit, destinés à nous faire réfléchir. Il tourne en ridicule les pontes du IIIème Reich en les mettant face à leurs propres contradictions certes, mais toujours en faisant valoir le danger que ces hommes représentaient à l’époque, ironie d’autant plus grande que les apparences ne faisaient que les desservir.
A peine un siècle après l’épisode, Laurent Binet rend ici un bel hommage à ceux qui se sont battus, qui ont résisté lors de la Seconde Guerre mondiale à l’envahisseur allemand. Il n’hésite pas à blâmer ceux qui, au contraire, ont préféré collaborer ou détourner les yeux. Sa documentation impressionnante lui permet d’ancrer dans les esprits les dates, les chiffres, les évènements. Son ton direct, prenant à parti le lecteur heurte le petit personnage du XXIème siècle que nous sommes, bien caché derrière les pages d’un livre, au fond de son canapé. Et vous, auriez-vous résisté ? Auriez-vous vu l’abominable réalité du gouvernement national-socialiste allemand?
Si l’auteur se débat tout au long de son livre entre faits et imaginaire, il arrive finalement à trouver le juste équilibre, suffisamment romancé pour nous faire adhérer à l’histoire et suffisamment objectif pour garder un véracité historique indéniable. Le ton ironique de l’auteur a fait de cette lecture un véritable plaisir, je recommande absolument !
Résumé de l’éditeur :
A Prague, en 1942, deux hommes doivent en tuer un troisième. C’est l’opération « Anthropoïde »: deux parachutistes tchécoslovaques envoyés par Londres sont chargés d’assassiner Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo, chef des services secrets nazis, planificateur de la solution finale, « le bourreau », « la bête blonde », « l’homme le plus dangereux du IIIe Reich ». Heydrich était le chef d’Eichmann et le bras droit d’Himmler, mais chez les SS, on disait : « HHhH ». Himmlers Hirn heiβt Heydrich – le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich. Tous les personnages de ce livre ont existé ou existent encore. Tous les faits relatés ont été vérifiés. Mais derrière les préparatifs de l’attentat, une autre guerre se fait jour, celle que livre la fiction romanesque à la vérité historique. L’auteur, emporté par son sujet, doit résister à la tentation de romancer. Il faut bien, pourtant, mener l’histoire à son terme.
Et ça ne choque personne, tout le monde trouve ça normal, bidouiller la réalité pour faire mousser un scénario, ou donner une cohérence à la trajectoire d’un personnage dont le parcours réel comportait sans doute trop de cahots hasardeux et pas assez lourdement signifiants. C’est à cause de ces gens-là, qui trichent de toute éternité avec la vérité historique pour vendre leur soupe, qu’un vieux camarade, rompu à tous les genres fictionnels et donc fatalement habitué à ces procédés de falsification tranquille, peut s’étonner innocemment, et me dire : « Ah bon, c’est pas inventé? »
Non, ce n’est pas inventé ! Quel intérêt, d’ailleurs, y aurait-il à « inventer » du nazisme ?
Plus d’informations et de citations sur Babelio.
Tagué:Seconde Guerre Mondiale
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