On dit souvent que le monde est petit, mais c’est encore plus vrai à Cuba qu’ailleurs. Mario Conde, personnage phare de Leonardo Padura, se retrouve cette fois-ci confronté à deux mystères des plus déroutants, qui comportent plus de liens entre eux que ce qu’on imagine initialement.
C’est d’abord Elias Kaminsky, qui cherche à retrouver la trace d’un tableau de Rembrandt, héritage familial disparu pendant la Seconde Guerre Mondiale à Cuba, alors qu’il devait être échangé contre la survie des derniers Kaminsky arrivés sur le SS Saint-Louis. C’est ensuite Yadine Kaminsky, plus ou moins de la famille du précédent, qui lui demande d’enquêter sur la disparition de son amie Judith.
Et on passe tout le roman à se demander finalement où veut en venir l’auteur, qui nous fait tourner sans cesse autour du pot, au point qu’on finit par deviner la fin avant qu’il ne nous la livre.
Pourtant, j’ai apprécié dans ce livre le portrait qui est fait de Cuba, une grande fresque temporelle finalement, puisqu’elle commence dans les années 1940 avec l’arrivée de Daniel Kaminsky à La Havane, et se finit en 2007, par l’arrivée de son fils, revenu de Miami pour chercher des réponses. A travers la vie quotidienne des juifs cubains, puis plus tard de Conde et sa troupe d’amis fidèles, c’est un pays en constante transformation qu’on découvre, profondément attachant, malgré son irrémédiable décrépitude.
C’est un ouvrage qui, outre les intrigues policières, tourne autour de la question du libre-arbitre, de la capacité qu’à chacun d’entre nous de décider de son destin, de faire ses propres choix. Peut-on véritablement ignorer les règles de notre communauté ou de notre religion? Dans quelle mesure nos choix sont-ils dictés par notre hérédité et les histoires qu’elle nous transmet? Quel poids a véritablement l’opinion de nos amis les plus proches sur nos décisions? Ils ne nous forcent à rien, mais dans le cas de Mario Conde, ils peuvent nous entraîner sur une pente qu’on ne souhaite pas prendre.
C’est divertissant et intelligent, mais je ne peux m’empêcher de penser que le style en espagnol doit être bien plus agréable à lire que la traduction française.
Lancé sur la piste d’un mystérieux tableau de Rembrandt, disparu dans le port de La Havane en 1939 et retrouvé comme par magie des décennies plus tard dans une vente aux enchères à Londres, Mario Conde, ex-policier reconverti dans le commerce de livres anciens, nous entraîne dans une enquête trépidante qui tutoie souvent la grande histoire. On y fréquente les juifs de la capitale cubaine, dans les années pré-révolutionnaires, tiraillés entre le respect des traditions et les charmes d’un mode de vie plus tropical ; des adolescents tourmentés d’aujourd’hui, dont les piercings et scarifications semblent crier au vu et au su de tous leur rejet de l’Homme Nouveau et des carcans faussement révolutionnaires ; mais aussi les copains du Conde, chaleureux et bienveillants, toujours prêts à trinquer à la moindre occasion avec une bonne bouteille de rhum. On y fait même un détour par Amsterdam, en plein XVIIᵉ siècle, à l’heure des excommunications religieuses et des audaces picturales, en compagnie d’un jeune juif qui décide d’apprendre l’art de la peinture, contre toutes les lois de sa religion.
Dans ce livre puissant et profond, Leonardo Padura rend un vibrant hommage au libre arbitre et à tous les « hérétiques » qui osent s’opposer aux dictats de leur temps ou de leur communauté. Et qui mieux que Mario Conde, plus vivant que jamais sous ses airs désabusés, pouvait nous guider parmi ces amoureux de la liberté ?
Pendant qu’il se débarrassait de la sueur et des chaleurs de la journée, tout en imaginant lui donner une conclusion sexuelle satisfaisante, Mario Conde pensa qu’en vérité il pouvait considérer qu’il avait beaucoup de chance : des milliers de choses lui manquaient, le monde entier partait en couilles, mais il possédait encore quatre trésors qu’il pouvait considérer, dans leur magnifique conjonction, comme les meilleures récompenses que lui avaient données la vie. Parce qu’il avait de bons livres à lire ; un chien fou et voyou à soigner ; des amis à emmerder, à embrasser, avec lesquels il pouvait se saouler et se lâcher en évoquant les souvenirs d’autres temps qui, sous l’effet bénéfique de la distance, semblaient meilleurs ; et une femme à aimer qui, s’il ne se trompait pas trop, l’aimait également. Il jouissait de tout cela — et même maintenant d’une somme d’argent — dans un pays où bien des gens n’avaient presque rien ou sacrifiaient le peu qui leur restait : chaque jour, en travaillant au hasard des rues, il en rencontrait qui vendaient leurs livres dans l’espoir de sauver leurs estomacs, alors qu’ils avaient déjà perdu jusqu’à leurs derniers rêves.
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