dans l'épaisseur de la chair, éditions zulma, rentrée littéraire 2017, the unamed bookshelf

La vie de nos pères nous paraît souvent admirable. Ils ont survécu aux guerres, aux révolutions politiques, aux divisions raciales et aux préjugés bien ancrés du siècle passé. Manuel Cortès est de ces pères-là, un de ceux qui inspirent leurs enfants à se dépasser pour atteindre cet idéal désormais révolu. D’origine espagnole, médecin dans les tabors lors de la libération de l’Italie, chirurgien en Algérie, il devient médecin généraliste en France, luttant contre la discrimination à l’encontre des pied-noirs pour faire vivre sa famille. C’est son fils, Thomas, tombé à l’eau un beau matin de décembre après un accrochage avec son père, qui nous raconte son histoire, et l’histoire de son père Juanico avant lui. L’histoire d’une famille, certes venue d’Espagne, mais faisant partie intégrante d’une chimère sur le point d’exploser : l’Algérie française.

Jean-Marie Blas de Roblès nous charme par son style unique, ici mis au service d’un témoignage profond et émouvant, une apologie du père, illustrée de quelques réflexions philosophiques et historiques. Il parvient à merveille à décrire toutes les scènes variées qui ont fait la vie de Manuel Cortès : les anecdotes familiales sont drôles et émouvantes, les scènes de guerre hachées et horribles de réalisme, les interventions d’Heidegger, le perroquet imaginaire, tout simplement hilarantes. Le narrateur complète son témoignage familial avec des faits véridiques, des digressions parfois surprenantes mais qui, systématiquement nous amènent à réfléchir. Il fait preuve d’une lucidité sans pareille dans sa démarche pour répondre à l’accusation de son père : « – Toi, de toute façon, tu n’as jamais été un vrai pied-noir ! » Il interroge tour à tour la conception de l’Algérie française de ces gens qui y ont fait leur vie, qui ont participé au maintien de cette chimère et ont aimé passionnément ce pays comme le leur, malgré le racisme latent, les divisions superficielles entre les peuples, les règles tacites creusant les différences. On sent qu’il aurait aimé que le colonialisme français ait l’intelligence de ne pas faire dans l’assimilation et la discrimination, pour lui permettre à lui, Thomas, d’être un « vrai » sans être « pied-noir ».

C’est sur la fin que tout le roman prend son sens symbolique, et je ne peux pas vous dévoiler la fin, quelque part, c’est à vous d’aller la chercher. J’ai été dubitative tout au long du récit sur ce stratagème romanesque qui consiste à coincer un personnage dans une situation improbable (ici, le mettre à l’eau littéralement), et de s’en servir comme prétexte pour le faire réfléchir et se souvenir. C’est à la fin que j’ai compris pourquoi l’auteur avait choisi ce procédé, finalement assez approprié pour finir en beauté, pour rendre justice au père comme au fils, pour clôturer les souvenirs avec un présent plein d’espoir. Très différent de L’île du Point Némo (superbe aussi soit dit en passant), ce roman plus terre à terre, plus réaliste, plus ancré dans l’histoire, est un roman puissant, émouvant, perturbant aussi. Mais surtout, c’est un message d’espoir pour l’avenir, un doigt pointé vers l’horizon qui nous dit que tout va bien se passer, quoique l’histoire mette en travers de notre chemin, et qu’il faut se battre, coûte que coûte.

Merci aux Editions Zulma pour ce beau moment de lecture.


Résumé de l’éditeur :

C’est l’histoire de ce qui se passe dans l’esprit d’un homme. Ou le roman vrai de Manuel Cortès, rêvé par son fils – avec le perroquet Heidegger en trublion narquois de sa conscience agitée. Manuel Cortès dont la vie pourrait se résumer ainsi : fils d’immigrés espagnols tenant bistrot dans la ville de garnison de Sidi-Bel-Abbès, en Algérie, devenu chirurgien, engagé volontaire aux côtés des Alliés en 1942, accessoirement sosie de l’acteur Tyrone Power – détail qui peut avoir son importance auprès des dames…

Et puis il y a tous ces petits faits vrais de la mythologie familiale, les rituels du pêcheur solitaire, les heures terribles du départ dans l’urgence, et celles, non moins douloureuses, de l’arrivée sur l’autre rive de la Méditerranée.

Dans l’épaisseur de la chair est un roman ambitieux, émouvant, admirable – et qui nous dévoile tout un pan de l’histoire de l’Algérie. Une histoire vue par le prisme de l’amour d’un fils pour son père.


Les idéologies politiques, la religion ou la métaphysique n’étaient que des ersatz, des emplâtres qu’une humanité terrifiée, et au fond d’elle-même consciente de leur inefficacité, appliquait sur la mortelle blessure d’être au monde.

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