
Enfant, Eva jouait à la princesse, elle mettait des costumes, des couronnes pailletées, elle bouclait ses cheveux avec des papillotes. Mais, contrairement aux autres petites filles, elle ne faisait pas ça par jeu. Eva posait, elle posait pour sa mère, nue le plus souvent, aguicheuse malgré son jeune âge. Irène Ionesco, femme torturée, artiste incomprise, enfant de l’adultère, s’est servie de sa fille pour assouvir ses fantasmes indécents, à travers l’objectif de son Nikon F. Jalouse de la beauté de sa fille, elle n’en saisit pas moins le potentiel, en faisant publier des photos d’elle nue dans les magazines à scandale. Eva n’est qu’un objet, une monnaie d’échange, un moyen de gagner de l’argent et d’exprimer le talent caché de sa mère. Eva n’a que six ans, dix ans et sa mère l’entraîne avec elle dans les boîtes de nuit, à la merci d’hommes lubriques, elle traîne dans les milieux artistiques où la décence n’est pas lieu de cité, elle vit dans une chambre de bonne avec sa Mamie, quand Irène se pâme dans son appartement. Au milieu de ce tumulte quotidien, Eva rêve à son père, Nicholas, qu’Irène l’empêche de voir. C’est un espion, elle le sait, il doit avoir une vie palpitante. Elle attend qu’il vienne la chercher, la soustraire à son bourreau de mère, … mais il ne viens pas.
Le style est dur, tranchant, sans pitié : c’est une grande enfant qui nous parle, qui nous raconte. Privée de sa jeunesse, Eva Ionesco tente de s’en saisir à travers les phrases. Quand elle se perd dans un élan d’innocence au gré d’un paragraphe, elle revient bien vite à sa terrible réalité avec une phrase écorchée vivre, témoignant de la vérité crue. Les scènes qu’elle décrivent semblent incompatibles avec l’image de petite fille mignonne qu’on se fait d’elle, qu’elle nous décrit parfois. Les discours rapportés sont d’une rare méchanceté, ses pensées réécrites, absolument sordides. Comment a-t-elle survécu à une telle enfance? Elle ne nous raconte pas ce qu’il s’est passé après ses dix ans, elle passe directement aux recherches sur son père, quand elle a été en âge de les entreprendre. Et pourtant, au détour des pages, on comprend que la drogue a été son refuge pendant un temps, que Simon (Liberati) l’a aidée, ensuite.
Comment une mère peut-elle traiter ainsi sa fille, être à ce point ignorante des limites de ce qu’on peut infliger à un enfant? Comment peut-elle ne pas différencier sa propre sexualité de celle de son enfant – encore inexistante à l’époque? Au delà du témoignage qu’Eva Ionesco fait sur sa vie, au delà de sa quête pour retrouver son père – finalement secondaire passé un certain point dans le récit, c’est une histoire d’hérédité, c’est l’illustration d’un contexte familial instable depuis plusieurs générations qui rejaillit sur la fillette aux boucles blondes. Est-ce que sa mère aurait été comme ça si elle n’avait pas été le fruit défendu d’une nuit entre sa soeur et mère, Margareth, et son père? Nul ne le saura jamais, mais Eva rappelle souvent cette information au cours de son récit. Est-ce qu’elle cherche à comprendre? Est-ce qu’elle cherche une logique dans ce qui lui est arrivé? Ou peut-être est-ce juste une information parmi d’autres et c’est moi qui comprend de travers.
Toujours est-il que je retiendrais de cet ouvrage son style si particulier, ses chutes de paragraphes assassines, très belle illustration du décalage entre la vie des autres et la réalité de sa propre vie. Un côté ironique aussi, une cuirasse de second degré. Le style rend définitivement justice à ce témoignage, cet exorciste.
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Elle s’appelle Eva, elle est adorable avec ses boucles blondes et ses bras potelés. Une enfant des années 70. Ses parents se séparent très vite. Dès lors, sa mère l’enferme dans un quotidien pervers et éloigne le père par tous les moyens en le traitant de « nazi ». Photographe, elle prend Eva comme modèle érotique dès l’âge de quatre ans, l’oblige à des postures toujours plus suggestives, vend son image à la presse magazine.
Emportée dans un monde de fêtes, de déguisements et d’expériences limite, entre féerie et cauchemar, la petite fille ne cesse d’espérer et de réclamer l’absent qui seul pourrait la sauver de son calvaire. Mais sa mère, elle-même fruit d’un inceste, maintient l’enfant-objet sous emprise et attendra deux ans avant de lui annoncer la disparition de son père. Enfin, à l’adolescence, le scandale explose.
Comment survivre parmi les mensonges, aux prises avec une telle mère, dans une société qui tolère le pire ? Une seule voie, pour Eva devenue adulte mais restée une petite fille en manque d’amour : mener l’enquête sur son père, tenter de reconstruire ce qui a été détruit. Une expérience vertigineuse.
J’ai quitté San Francisco de nuit. Nous avons glissé avec la Cadillac le long des avenues victoriennes, nous sommes passés devant le parc où se trouvait mon poney, nous avons pris le Golden Gate Bridge. Margareth avait l’air saoule parce qu’elle était triste, elle pleurait derrière ses lunettes noires et Arnold lui tenait gentiment la main. Je ne l’ai jamais revue, elle s’est suicidée en 1976 la tête dans le four à gaz et Arnold a quitté San Francisco, c’était l’année de mes onze ans, la même année où ont éclaté tous ces scandales érotiques avec moi, ces films pornographiques et toutes ces photographies dénudées où j’avais l’air d’être l’enfant du diable.
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