Et soudain la liberté - Exelyne Pisier - Caroline Laurent - Les Escales - Rentrée littéraire 2017

🏆Prix Première Plume du Furet du Nord 2017

Quand j’ai découvert ce roman, j’ai ressenti une certaine urgence à le lire, sans vraiment comprendre pourquoi. Je ne l’ai d’abord pas trouvé chez mon libraire – tant pis, j’ai fait comme d’habitude, j’ai pris deux autres livres, j’ai gardé ce titre dans un coin de ma tête. Mais je n’ai pas oublié, je n’ai pas renoncé – moi qui oublie si vite d’ordinaire, prise par la liste sans fin de ma pile à lire. Je suis retournée à la librairie, je l’ai commandé. Il fallait que je l’ai, que je le lise, je le sentais. Une fois dans mes mains, il y a passé 48 heures – 48 heures à refouler mes larmes dans le métro, à l’exhiber fièrement à chaque fois qu’on demandait ce que je conseillais comme livre en ce moment, 48 heures le coeur serré, l’esprit ailleurs, le cerveau en ébullition. Ça faisait bien longtemps qu’un livre ne m’avait pas émue autant.

Je ne vais pas vous raconter l’histoire de ce roman – parce que mes petits mots à moi ne suffiront pas à rendre la beauté de ce texte, de ces aventures uniques que nous racontent Evelyne Pisier et Caroline Laurent. L’aventure d’une femme en quête de liberté, l’aventure d’une éditrice, d’une amie en quête de vérité. Evelyne a promis à sa mère d’être une femme libre, et elle le sera. Caroline a promis à Evelyne de terminer son livre, et elle le fera. Le courage de ces deux femmes est admirable et m’a ému aux larmes, tout au long de ma lecture.

Il y a ce petit texte, dans le rabat de la couverture, parfaite description du livre, de son message et de sa morale : « Evelyne a fêté ses soixante-quinze ans quelques semaines après notre rencontre. Elle avait choisi d’aimer ses rides, ses cheveux blancs, ses nombreux petits-enfants – la vie. Mona, elle, s’était donné la mort à la veille de ses soixante-six ans. « Ce qu’il faudrait, c’est montrer dans le roman comment vous vous êtes construites l’une l’autre, mais aussi déconstruites, peut-être. » On pourrait résumer les choses d’une phrase : Evelyne Pisier n’était pas devenue Evelyne Pisier par hasard. Sa mère était à la fois un modèle et un contre-modèle, une alliée et un contradicteur, une confidente et une femme de secrets – un grand chaos d’ombre et de lumière. » Une révélation, le début pour moi d’une découverte littéraire sans pareille, où, étrangement, j’ai eu l’impression que les auteures me comprenaient, encore plus que je ne les comprenais, elles, à travers leur témoignage romancé, romanesque et romantique. Caroline Laurent parlait à mon rêve avorté de devenir éditrice, Evelyne Pisier à l’enfant portant encore le fardeau familial. Elles ont trouvé, sans le savoir sans doute, les mots justes pour me toucher en plein coeur.

La colonisation – Indochine, Nouvelle-Calédonie, les camps, la guerre, la collaboration française dans l’extermination des Juifs, puis la libération des femmes, l’avortement clandestin, le combat pour la contraception, puis le communisme, l’instruction des femmes, la libération sexuelle, Cuba et Fidel Castro… Une vie mêlée à l’Histoire, la grande histoire, une vie engagée, admirable et tragique parfois. Comment peut-on vivre et survivre à tout ça? Comment a-t-on peu oublier aujourd’hui, qu’il y a 80 ans à peine, les femmes étaient asservies à ce point? Que la politique portait tant d’espoirs? Que notre monde semblait pouvoir basculer d’une minute à l’autre dans une autre guerre atroce?

Il a dû être tellement difficile de marcher dans les pas d’une femme aussi admirable, après son décès. Il faut du courage pour prendre la plume, et continuer à écrire, malgré la perte, la peur de ne pas être à la hauteur de l’hommage qu’on veut donner, malgré l’absence. Caroline Laurent nous parle aussi de son histoire, des parallèles avec celle d’Evelyne Pisier, ces fragments de vies qui les rejoignaient, au-delà des âges, qui les ont rapprochées, irrémédiablement. Elle nous parle du deuil aussi, de la difficulté à continuer, de l’incompréhension des autres mais de sa détermination à honorer sa promesse. Ici, je n’aurais qu’un mot pour Caroline Laurent : « Merci ». Merci d’avoir fini le livre, merci de nous l’avoir offert, merci d’avoir permis qu’il m’arrive entre les mains.


Résumé de l’éditeur:

Mona Desforêt a pour elle la grâce et la jeunesse des fées. En Indochine, elle attire tous les regards. Mais entre les camps japonais, les infamies, la montée du Viet Minh, le pays brûle. Avec sa fille Lucie et son haut-fonctionnaire de mari, un maurrassien marqué par son engagement pétainiste, elle fuit en Nouvelle-Calédonie.<
Nouméa, les journées sont rythmées par la monotonie, le racisme ordinaire et les baignades dans le lagon. Lucie grandit ; Mona bovaryse. Jusqu'au jour où elle lit Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. C’est la naissance d’une conscience, le début de la liberté.<
e retour en France, divorcée et indépendante, Mona entraîne sa fille dans ses combats féministes : droit à l'avortement et à la libération sexuelle, égalité entre les hommes et les femmes. À cela s'ajoute la lutte pour la libération nationale des peuples. Dès lors, Lucie n'a qu'un rêve : partir à Cuba. Elle ne sait pas encore qu'elle y fera la rencontre d'un certain Fidel Castro

Et soudain, la liberté, c’est aussi l’histoire d’un roman qui s’écrit dans le silence, tâtonne parfois, affronte le vide. Le portrait d’une rencontre entre Evelyne Pisier et son éditrice, Caroline Laurent – un coup de foudre amical, plus fou que la fiction. Tout aurait pu s’arrêter en février 2017, au décès d’Evelyne. Rien ne s’arrêtera : par-delà la mort, une promesse les unit.


Que peut la littérature face à l’absolu du vide? Quel est ce plein dont elle prétend nous combler? J’ai beau travailler dans les mots, autour des mots, entre les mots, je n’ai pas la réponse. Vivre une autre vie, donne du rêve, faire rire et pleurer, laisser une trace, peindre le monde, poser des questions, ressusciter les morts, voilà le rôle des livres, dit-on. Offrir la consolation de la beauté. C’est peu ; c’est immense.

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