
Solange rencontre Kouhouesso, réalisateur de film d’origine congolaise, et c’est un inexplicable attachement qu’elle ressent pour lui dès les premiers instants et qu’elle est incapable de contrôler. Elle le suit au Congo, puis au bout du monde, dans sa folle aventure jusqu’à la frontière entre le Cameroun et la Guinée équatoriale. Une histoire d’amour atypique au coeur de la forêt vierge, parfaite illustration de la phrase de Marguerite Duras qui a donné son nom à ce roman : « il faut beaucoup aimer les Hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter. » Vous avez dit parfaite?
C’est le premier roman que je lis de Marie Darrieussecq, et j’ai tout d’abord été séduite par le style, un peu haché et très imagé, plein de métaphores inattendues et inhabituelles. On trouve, dans le premier tiers de ce roman, une description très juste et lucide de cette femme qui attend, indéfiniment, ne serait-ce qu’un mot de l’homme qu’elle aime, elle attend qu’il refasse surface, mais ne veut surtout pas le brusquer, qui à détruire sa propre vie à elle. Cette attente interminable, sous la plume de Marie Darrieussecq, paraissait comme la chose la plus romantique qui puisse arriver à une femme.Le deuxième tiers du récit n’a pas su me toucher de la même manière, on sent de plus en plus l’éloignement de Kouhouesso, tout entier absorbé par son projet, on sent l’envie (voire le besoin) de Solange de l’accompagner dans cette quête au coeur de l’Afrique. Mais on est noyé sous les retournements de situations et les tâtonnements du film, qui semble ne jamais se faire.Dans le dernier tiers, finalement le film a lieu, on ne comprend pas tellement ce que Solange fait là, pourquoi elle s’accroche comme une sangsue à cet homme qui manifestement ne voulait pas d’elle, là à ce moment-là, qui avait besoin de mener à bien son projet tout seul, accomplir ce besoin pour lui-même. Et elle, un peu cruche, elle lui court après, elle cherche à tout prix à le retrouver, à être avec lui (au point de payer une sorcière, on n’a pas tout à fait compris pourquoi). Elle pénètre pour ça en Afrique profonde, en tous points conforme aux clichés de l’Afrique pauvre où l’on ne mange que du manioc et des trucs bizarres, où survivre est un enfer, où tout disparaît sans explication, où les locaux sont pétris de croyances sur la forêt et compagnie.Les réflexions sur les clivages Blancs/Noirs qui subsistent dans notre société contemporaine dans les premiers chapitres m’ont apparues être relativement justes, peut-être un peu caricaturées, mais pas dénuées de fondement, même si Solange semble être la seule à ne penser qu’à ça. Mais ensuite, on tombe dans le cliché, tout est évoqué de manière très rapide, le film, les complications, les trajets dans la forêt, les rapports avec Kou’, ses inquiétudes à elle, la séparation, le retour… Le tout avec des passages sortis d’on-ne-sait-où, complètement hors sujet (on tourne le film au Cameroun, et puis d’un coup, on nous parle d’un fleuve en Guinée). Et puis, Solange se fait larguer, on ne sait pas trop pourquoi ni comment, on a plutôt l’impression que Kou’ en a eu marre qu’elle lui colle aux basques.J’aurais préféré continuer à lire une histoire d’amour complexe, reflet de clivages sociétaires anciens et inutiles, enlever le côté très hollywoodien, qui immédiatement nous fait tomber dans le cliché, le tout-facile, le tout-factice, et enlever le film en Afrique, que le film reste un projet occupant tout entier le temps et les pensées de Kou’, au détriment de Solange, qui finit par en pâtir. Une belle histoire, mais qui aurait mérité un peu plus de profondeur (dans le personnage de Solange notamment, qui semble un peu niaise parfois – elle ne comprend qu’à la fin que Kou’ ne sait pas nager).
Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. Il se trouve que l’homme est noir. « C’est quoi, un Noir ? Et d’abord, c’est de quelle couleur ? » La question que pose Jean Genet dans Les Nègres, cette femme va y être confrontée comme par surprise. Et c’est quoi, l’Afrique ? Elle essaie de se renseigner. Elle lit, elle pose des questions. C’est la Solange du précédent roman de Marie Darrieussecq, Clèves, elle a fait du chemin depuis son village natal, dans sa « tribu » à elle, où tout le monde était blanc.
L’homme qu’elle aime est habité par une grande idée : il veut tourner un film adapté d’Au cœur des ténèbres de Conrad, sur place, au Congo. Solange va le suivre dans cette aventure, jusqu’au bout du monde : à la frontière du Cameroun et de la Guinée Équatoriale, au bord du fleuve Ntem, dans une sorte de « je ntem moi non plus ».Tous les romans de Marie Darrieussecq travaillent les stéréotypes : ce qu’on attend d’une femme, par exemple ou les phrases toutes faites autour du deuil, de la maternité, de la virginité… Dans Il faut beaucoup aimer les hommes cet homme noir et cette femme blanche se débattent dans l’avalanche de clichés qui entoure les couples qu’on dit « mixtes ». Le roman se passe aussi dans les milieux du cinéma, et sur les lieux d’un tournage chaotique, peut-être parce qu’on demande à un homme noir de jouer un certain rôle : d’être noir. Et on demande à une femme de se comporter de telle ou telle façon : d’être une femme.
Et il porte sur la mer un regard infini. D’un flic qui s’ennuie, d’un acteur qui pense. Hors de la là, hors du film. Un regard sur la mer et elle voudrait être la mer. Un regard sur les vagues et elle voudrait être les vagues. Elle voudrait être le vide, elle être l’ailleurs, elle voudrait être la chanson qu’il a dans la tête, et elle voudrait qu’il la chante, elle, qu’il dérive, oui, mais vers elle; elle voudrait être cette pensée évasive et déserteuse, cet en dehors du film.
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Catégories :Littérature française, Roman
J’ai un bon souvenir de ce roman… As tu lu son dernier ? J’ai eu des avis contrastés ..
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Je n’ai pas lu le dernier, j’ai vu un peu de tous les avis, positifs et négatifs, ça ne m’a pas suffisamment convaincue pour le lire 🙂
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