stupeur et tremblements - Amélie Nothomb - Grand prix du roman de l'académie française - the unamed bookshelf - liseuse nolim

🏆 Grand Prix du roman de l’Académie Française 1999

Fraîchement débarquée dans le monde merveilleux et tant attendu de la multinationale japonaise Yumimoto, la jeune Amélie déchante bien vite. De consignes absurdes en réactions démesurées, son quotidien est riche en rebondissements et péripéties. D’abord embauchée comme interprète, elle est rapidement reléguée au rang de comptable puis, devant son incapacité manifeste à remplir cette tâche, elle est nommée dame pipi en chef des toilettes du quarante-quatrième étage – inutile de préciser que ce poste n’a pas d’équivalent dans aucun autre des nombreux étages de la tour Yumimoto. Sa fascination pour le vide et son cynisme décapant lui permettent de tenir son poste jusqu’au bout, de ne pas perdre la face dans cette société où le travail est la clé de voûte de la vie de chacun : elle partira avec honneur, à la japonaise, en démissionnant comme il se doit.

Un livre sur le choc des cultures ou sur l’absurdité des métiers du capitalisme? Question difficile à établir. Certes, certains codes décrits par Amélie Nothomb dans son roman sont définitivement propres à la culture nippones, obligation de s’auto-flageller pour expliquer sa démission par exemple, d’autres événements sont étrangement proches de ce qu’on peut rencontrer dans des entreprises occidentales. Quand Amélie-san ose remplir une tâche pour un autre département sans l’aval de ses supérieurs hiérarchiques directs, c’est la crise diplomatique, le déshonneur, l’affront le plus total – la valorisation de l’esprit d’initiative, débat récurrent dans nos entreprises internationales.

Et en dehors de l’entreprise, qu’est-ce qui attendait les comptables au cerveau rincé par les nombres? La bière obligatoire avec des collègues aussi trépanés qu’eux, des heures de métro bondé, une épouse déjà endormie, des enfants déjà lassés, le sommeil qui vous aspire comme un lavabo qui se vide, les rares vacances dont personne ne connait le mode d’emploi : rien qui mérite le nom de vie.

Le pire, c’est de penser qu’à l’échelle mondiale ces gens sont des privilégiés.

Stupeurs et tremblements met en lumière les comportements aberrants qui sont pourtant monnaie courante dans les entreprises : salariés sacrifiant leur vie, leur sommeil et leur fierté sur l’autel de la productivité et de la réussite chiffrée, managers abusant de leurs positions pour martyriser de pauvres employés subalternes, tâches abrutissantes répétées à l’infini jusqu’à épuisement… Amélie Nothomb relève toutes ces « petites » choses avec humour, bon sens et rationalisme : on en rigole, on réalise à quel point c’est hallucinant de vivre comme ça, de vivre pour ça – et pourtant c’est bien ce qu’on fait.

Loin de dénigrer totalement l’entreprise dans laquelle elle se trouve et le quotidien qu’elle subit, Amélie Nothomb n’hésite pas à passer sa propre personnalité, ses propres réactions et ses propres actions au crible de son regard impitoyable – ce qui ne fait que renforcer le sentiment d’aberration absolue. Amélie-san semble en effet donner le meilleur d’elle-même, ne subir que le pire de ce que l’entreprise peut lui donner, et pourtant, sa fierté est au niveau zéro, elle continue à nous faire croire que tout est de sa faute, que c’est elle qui n’est pas à la hauteur de l’honneur qui lui est fait. C’est là que le choc des cultures est le plus présent, le plus visible : l’individu au Japon n’est défini que par sa performance au travail. Le travail bien fait est la norme, il n’est pas récompensé. Le moindre manquement par contre, la moindre défaillance est fustigée, reprochée, jusqu’à la déchéance professionnelle de l’individu qui a osé la commettre. La remise en question de l’entreprise, de ses codes et de sa hiérarchie n’est pas acceptable, même pas envisageable – et c’est seulement sur la fin qu’Amélie commence à émettre quelques critiques par rapport aux abus qui lui sont imposés.

C’est un récit prenant et drôle, qui remet en perspective notre façon de vivre et de travailler au quotidien. Une littéraire rêveuse dans un monde capitaliste et hiérarchique impitoyable : un antagonisme impeccable où l’ajustement n’est ni possible ni permis. Seul l’humour est permis pour rendre la situation supportable, en attendant de pouvoir en sortir. Un bel exemple de l’absurdité de notre système actuel.


Résumé de l’éditeur:

Au début des années 1990, la narratrice est embauchée par Yumimoto, une puissante firme japonaise. Elle va découvrir à ses dépens l’implacable rigueur de l’autorité d’entreprise, en même temps que les codes de conduite, incompréhensibles au profane, qui gouvernent la vie sociale au pays du Soleil levant.<<
erreurs en maladresses et en échecs, commence alors pour elle, comme dans un mauvais rêve, la descente inexorable dans les degrés de la hiérarchie, jusqu’au rang de surveillante des toilettes, celui de l’humiliation dernière. Une course absurde vers l’abîme – image de la vie –, où l’humour percutant d’Amélie Nothomb fait mouche à chaque ligne.<<
tre le rire et l’angoisse, cette satire des nouveaux despotismes aux échos kafkaïens a conquis un immense public et valu à l’auteur d’Hygiène de l’assassin le Grand Prix du roman de l’Académie française en 1999.


Les semaines s’écoulaient et je devenais de plus en plus calme. J’appelais cela la sérénité facturière. Il n’y avait pas tant de différence entre le métier de moine copiste, au Moyen Age, et le mien : je passais des journées entières à recopier des lettres et des chiffres. Mon cerveau n’avait jamais été aussi peu sollicité de toute sa vie et découvrait une tranquillité extraordinaire. C’était le zen des livres de comptes. Je me surprenais à penser que si je devais consacrer quarante années de mon existence à ce voluptueux abrutissement, je n’y verrais pas d’inconvénient. Dire que j’avais été assez sotte pour faire des études supérieures. Rien de moins intellectuel, pourtant, que ma cervelle qui s’épanouissait dans la stupidité répétitive. J’étais vouée aux ordres contemplatifs, je le savais à présent. Noter des nombres en regardant la beauté, c’était le bonheur.

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