Habituée à être translucide pour son entourage, Emma rencontre à dix-neuf ans un homme incroyable, qui la sort de son isolement, qui l’aime et la protège, un homme pour qui elle abandonne tout derrière elle : Marc. Alors que s’accomplit devant nos yeux la transformation de ce couple heureux, la plongée d’Emma dans un quotidien infernal, nous suivons en parallèle Tess, belle femme errante à la robe rouge, David, gringalet isolé dans un trou perdu en haut de la montagne, et Nathan, jeune homme hanté par son passé et ses convocations régulières au commissariat.
Je ne peux en dire plus sans vous en dire trop.
Cette nuit, il n’y a pas de hasard. Et tout se joue maintenant. Oui, ce noir est étrange, cette parenthèse artificielle, sa présence ici fantasmagorique. Tess est comme un personnage de conte errant dans un décor de papier habité d’étranges personnages distillant peu de mots. Ici tout est symbole.
Roman haletant au style chirurgical, La Grande Roue absorbe immanquablement son lecteur, à la manière d’un récit policier où les indices sont distillés au compte-goutte au fur et à mesure que l’intrigue se dénoue. Les chapitres psychotiques où Tess s’enfonce dans un monde digne d’Alice au pays des merveilles alternent avecle récit factuel de la vie d’Emma, de celle de Nathan, et avec les envolées psychiques d’un David qui se cherche. On tourne les pages sans discontinuer pour espérer toucher du doigt le lien entre ces différents personnages, pour comprendre l’errance, les questionnements, pour savoir la suite. Jusqu’à ce que la suite nous saute sauvagement à la gueule, que les connexions se fassent toutes d’un seul coup, et là, on continue à tourner les pages à toute vitesse pour savoir si on a eu raison, et comment la situation a pu devenir ce que nous savons qu’elle est. Et à la fin, on avait raison et on reste dubitatif sur la cohérence romanesque de toute cette histoire.
C’est un formidable témoignage, au style « coup de poing », que nous offre ici Diane Peylin. On sait déjà en commençant le livre qu’il traite des violences faites aux femmes. Et c’est la gorge serrée que l’on voit se succéder sur les pages les signes annonciateurs de l’enfer qui attend Emma, on aurait envie de lui hurler, de l’extérieur du livre, de prendre ses jambes à son cou et de claquer la porte derrière, tant qu’il en est encore temps. C’est en effet avec une grande subtilité qu’est traité ce thème délicat, avec une grande lucidité aussi sur les raisons qui entraînent les femmes à se soumettre et à rester avec leur compagnon violent. La réflexion amenée par ce roman m’a beaucoup intéressée, et le style choc de l’auteur, avec ses phrases courtes et son rythme saccadé, a réussi à me happer entièrement – au point de finir le livre en deux jours.
D’un point de vue purement romanesque cependant, je reste sur ma faim. J’ai très vite compris le lien entre les différents personnages, j’ai très vite percé le mystère du « commissaire Field », le suspense n’a pas duré aussi longtemps que je l’aurais souhaité. Le fin – un happy end, if you must know – m’a semblé tomber quelque peu comme un cheveu sur la soupe, l’intrigue n’appelait pas cette fin-là, assez peu probable vu les circonstances de l’intrigue. Est-ce que l’auteur a voulu dire que tout peut finalement s’arranger ? Passer un message positif après ce livre assez noir ? Après un récit aussi « policier », après autant de suspense, il est simple de démonter en quelques questions la crédibilité d’une telle fin… Je suis donc restée très dubitative sur la fin, j’ai même relu de nombreux passages pour retrouver les indices, dissimulés tout au long du roman. Tout préparait au lien entre les différents personnages, rien n’annonçait pourtant la fin.
Pour conclure, un roman très bien écrit, qui réussi à traiter avec subtilité et lucidité d’un thème difficile à aborder et à raconter. Mais une fin étrange qui m’a laissée dubitative.
Été 1986. Emma, les cheveux flamboyants, rencontre Marc au pied d’une Grande Roue. Elle est si jeune, il est si fort. C’est une histoire d’amour qui commence, autour d’une barbe-à-papa, les pieds dans le sable. Une histoire intense. Vitale. Mais ce »Il était une fois » se transforme bientôt. Et le conte de fées devient celui de l’ogre et de la poupée.
Au côté d’Emma, il y a Tess dans la nuit, David en haut d’une montagne et Nathan dans un bureau de flic. D’autres personnages pour d’autres destins – d’autres chaos.
Les ruptures de chacun les ont isolés du reste du monde. Ils marchent. Chacun à leur rythme, ils marchent. À la recherche de leur identité.
Dans ce labyrinthe romanesque, où Lynch rencontre Kafka, le réel a besoin des chimères pour se révéler. Et permettre, petit à petit, à toutes les pièces du puzzle d’Emma de se dessiner. Emma, qui n’est pas qu’une poupée.
Le brouillard qui n’était que quelques nuages de fumée il y a seulement cinq kilomètres commence à s’épaissir. Il gribouille la rouille. Efface les lignes et les courbes. Le relief disparaît. Il ne reste plus qu’un peu du noir de la route et un gros nuage blanc. Devant, derrière, en haut, en bas. Par-delà cette chape de coton il y a les ruisseaux, les précipices, les fougères oxydées, les piquets, les bogues, les forêts, les genêts sans fleurs, les cols près des cieux, mais la brume opaque les a effacés. Confortant l’âme errante dans sa perte. De repères. De sens. D’identité.
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Merci pour la découverte !
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