🏆Prix François-Mauriac 2016
D’aussi loin que je m’en souvienne, la Grande Arche de la Défense a toujours dominé Paris. Je n’ai connu la perspective historique Louvre-Concorde-Arc de Triomphe que couronnée de cette arche de verre, tout au bout dans le lointain quartier d’affaires. Ce livre m’a donné l’occasion de plonger dans les dix années précédant ma naissance, ces dix années pendant lesquelles l’Arche est née de l’imagination d’un inconnu danois, a été l’objet de luttes politiques en tous sens, et a finalement fini par devenir une réalité, bien qu’assez lointaine de l’image que son concepteur avait présentée au concours de 1983. La Grande Arche s’est terminée en 1989, au prix d’efforts immenses, d’affrontements sans merci et de beaucoup de persévérance de la part de ceux qui resteront toujours ses défenseurs.
Y a-t-il gloire plus pure que celle qui couronne un inconnu sans ambition autre qu’artistique, non pas au terme d’une intrigue, ou d’une lutte de pouvoir ou de quelque autre stratégie sociale, mais à l’issue d’un concours anonyme, en reconnaissance de la force et de la beauté d’une oeuvre d’art? Y a-t-il joie plus claire?
Beaucoup d’histoires se mêlent dans ce roman foisonnant. L’histoire de Paris, transformée par les travaux successifs des différents présidents mais toujours souveraine dans son exigence de rester la plus belle. L’histoire d’un homme idéaliste et rêveur, perfectionniste et talentueux, qui a gagné l’un des plus grands concours de l’histoire de l’architecture européenne – une victoire improbable et formidable qui finira par lui brûler les ailes. L’histoire d’un mandat aussi, celui de François Mitterand, qui reprend le sujet de la « Tête-Défense » en prenant le pouvoir en 1981, mais qui se retrouve confronté aussi à la cohabitation quand Jacques Chirac devient Premier ministre en 1986. C’est la Grande Histoire, imbriquée dans la plus petite histoire de tous ces hommes (et quelques femmes) qui ont rendu la Grande Arche possible : Lion, Andreu, Subileau, témoins précieux au cours des pages des petits évènements ayant fait l’Histoire.
La construction de la Grande Arche, c’est une épopée moderne, un parcours semé d’embûches où les protagonistes se démènent tant bien que mal pour arriver à destination, coûte que coûte. L’incompréhension est reine, et pourtant chacun reste porté par un seul et même objectif : donner vie au bâtiment idéal conçu par Spreckelsen. C’est admirable de lire comment ces hommes se sont dévoués à l’Arche, comment ils ont combattu tous les obstacles politiques, économiques, idéologiques et naturels qui se sont dressés sur leur chemin. Malgré l’incohérence de la vie politique française, ses rebondissements qui sont autant de retours en arrière, ils ont tenu bon, ils ont construit l’Arche. Aujourd’hui, elle est malheureusement bien loin d’être ce qu’ils avaient rêvé qu’elle soit…
Je ne connais rien à l’architecture – seulement les dessins que ma colocataire faisait sur son ordinateur à la fac. J’ai pourtant été emportée dans cette histoire, intriguée par le dénouement, par les différentes étapes. Impressionnée aussi de l’ampleur d’un tel chantier, du bordel ambiant et de la façon dont ils ont réussi à s’en sortir – dans la vraie vie, je suis consultante en assistance maitrise d’ouvrage pour des projets informatiques, certains aspects du récit m’étaient donc assez familiers.
C’est une superbe histoire à découvrir : elle remet en perspective le monde dans lequel nous vivons, elle nous questionne et nous instruit, elle nous raconte une des histoires les plus méconnues de la France contemporaine, et pourtant, quelle histoire !
Selon une légende presque universelle, on ne peut pas construire un monument si un être humain n’est pas sacrifié. Sinon, le bâtiment s’écroule aussi longtemps qu’on essaye de le remonter. L’histoire de la Grande Arche de la Défense est la version la plus récente de cette légende. Voici l’épopée de cette Arche superbe, enjeu de luttes politiques au couteau sous le règne de François Mitterrand. C’est aussi le portrait de son créateur, Johan Otto von Spreckelsen, architecte secret, professeur aux Beaux-Arts de Copenhague. Lauréat inattendu d’un grand concours international en 1983, ce Danois découvrit avec stupéfaction la désinvolture et les revirements à la française. Laurence Cossé évoque un destin d’architecte parmi les plus beaux, les plus tragiques et les plus absolus du XXe siècle.
Dans le film de Tschernia, on voit Spreckelsen marcher entre les tours, à la Défense. Il est emmitouflé dans un manteau, il regarde en l’air. Des hautes constructions qui l’entourent, il dit qu’elles donnent la mesure des enjeux de pouvoir dans ce quartier très particulier. « Ici, c’est chacun pour soi, les multinationales, les banques, les puissantes sociétés financières. Tout le monde veut s’imposer, pour le meilleur ou pour le pire. Ça peut être fait avec élégance. C’est à la fois fascinant et repoussant. »
Plus d’informations et de citations sur Babelio.
Je partage ton avis sur ce livre. Il m’avait fait forte impression quand je l’avais : tout un pan de l’histoire récente, les conflits de culture, les luttes d’influence, et bien sûr le destin de Spreckelsen, le tout tellement bien retranscrit dans ce livre intelligent et ambitieux.
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