
L’eau s’est raréfiée jusqu’à devenir introuvable à certains endroits. A Cartimandua, une imposante citerne blanche permet aux habitants d’échapper à la soif, de consommer l’eau sans y prêter attention, tandis que défilent dans leur ville des exilés venus chercher à boire, au prix de long mois de marche interminables. A l’explosion de la Citerne, la ville sombre dans le chaos, la dictature, le racisme des « nez-verts », tandis que quelques hommes et femmes se lèvent pour se battre au nom de la liberté, du partage et de l’entraide des hommes.
Je lui étale un bric-à-brac qui n’est pas tout à fait le mien, mais celui d’une mère qui m’a enseigné qu’on se doit de crever pour nos idées et notre amour. Ne pose pas ton cul sur le canapé en imaginant que les politiques entendent ta colère derrière l’écran de la télé. Voilà ce qu’elle me disait, ma mère. Ça me fait une belle jambe, me répond régulièrement Titouan. Il y a des jours où on aurait préféré le laisser posé sur le canapé, notre cul.
Livre choc, Ne préfère pas le sang à l’eau est un coup de poing à l’estomac, une boule dans la gorge, un livre à réfléchir bien après avoir été lu. On ne sait rien du contexte général de l’histoire, un simple nom de ville imaginé suffit à tout expliquer. C’est un monde tellement similaire au nôtre, où pourtant des hommes, des femmes et des enfants meurent de soif au point de tout quitter pour aller chercher de l’eau, où une population se déchire pour quelques gouttes de ce liquide précieux. Céline Lapertot ne ménage pas ses mots pour nous faire prendre conscience du gaspillage que nous réalisons chaque jour, de l’individualisme qui s’installe de plus en plus dans notre société, du chacun pour soi et chacun devant sa télé.
Alors oui, les livres, ces garnisons de mots qui nous préservent du vide, à l’heure où tant de faux prophètes brûlent les pensées qui les dérangent et attaquent au disque à découper les sites les plus anciens de l’humanité. Les livres pour toujours, les formats poche qui ont la taille des briques de ma cellule. Pas seulement les mots, ce qu’il me fallait aussi, c’était l’objet en lui-même. Titouan n’a jamais pu comprendre cette adoration de l’objet livre. Mais le tenir dans sa main, le soupeser et compter le nombre de jours qu’il nous faudra, en fonction du nombre de pages qui s’étalent sous nos yeux.
A travers des personnages saisissants de réalisme, nous livrant leurs pensées, leurs réflexions dans les plus intimes, Céline Lapertot nous délivre un roman sensible, sensé et poignant – j’ai eu plusieurs fois une petite larme à l’oeil. Un personnage central donne le ton tandis que des scènes dédiées à d’autres nous attaquent jusqu’au coeur. Beaucoup de souffrance dans ce livre, et pourtant beaucoup d’idéaux, de principes de vie, de volonté d’avancer, racontés avec un style direct, précis et poignant. Une pointe d’optimisme sur la fin, l’entrevue d’un avenir meilleur : on sort de ce roman chamboulé, indécis aussi, mais définitivement conquis par la façon admirable avec laquelle l’auteur a su faire passer son message.
Un livre court, qui touche tout de suite au but, incroyablement bien écrit, et invitant à la réflexion : je ne peux que recommander cette lecture, à condition d’avoir le coeur bien accroché. Merci à lecteurs.com pour cette découverte !
« Cette sensation de fin du monde, quand tu as dix ans et que tu comprends, du haut de ton mètre vingt, qu’il va falloir abandonner la sécheresse de ton ocre si tu ne veux pas crever. Je serais restée des millénaires, agenouillée contre ma terre, si je n’avais pas eu une telle soif.
Maman a caressé la peau de mon cou, toute fripée et desséchée, elle m’a vue vieille avant d’avoir atteint l’âge d’être une femme. Elle a fixé les étoiles et, silencieusement, elle a pris la main de papa. On n’a pas besoin de discuter pendant des heures quand on sait qu’est venu le moment de tout quitter. J’étais celle à laquelle on tient tant qu’on est prêt à mourir sur les chemins de l’abîme.
J’étais celle pour laquelle un agriculteur et une institutrice sont prêts à passer pour d’infâmes profiteurs, qui prennent tout et ne donnent rien, pourvu que la peau de mon cou soit hydratée. J’ai entendu quand maman a dit On boira toute l’humiliation, ce n’est pas grave. On vivra. Il a fallu que je meure à des milliers de kilomètres de chez moi. »
L’eau, ce ruisseau indispensable au paisible écoulement de nos jours. L’eau, ce diamant précieux et vital, qu’on s’arrache des mains comme des chiffonniers. On fait bêtement couler le sang pour ce qui relie la totalité de l’humanité. Ce trésor qui nous abreuve et nous lave, cette eau qu’on laisse couler sous la douche quand on se perd dans nos pensées, on chie dedans quand d’autres sont à genoux pour lécher le fond des mares. Ils se prosternent devant leurs trois ou quatre gouttes de pluie, quelques fois dans l’année. Papa m’avait dit, quand nous sommes arrivés : « Ne préfère pas le sang à l’eau. La vie, c’est gratuit. Ne fais pas couler le sang pour ce qui appartient à l’humanité. »Le sentir, neuf, vieux, poussiéreux. Le contempler, blanc immaculé ou jauni par le soleil d’avoir été classé dans une bibliothèque vitrée.
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J’avais hésité, je n’ai jamais lu cette auteure. Ce me semble bien dosé entre anticipation et réalisme, entre violence et émotion.
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