Les Rêveurs Isabelle Carré Grasset 68 premières fois Premier roman

📖68 Premières Fois – Hiver 2018

🏆Grand Prix RTL – Lire 2018

Jonglant ici entre roman et autobiographie, Isabelle Carré raconte son enfance fantasque, auprès de deux grands enfants, ses parents, ces rêveurs qui n’étaient pas faits pour la vie d’adulte, ses responsabilités et ses carcans. En racontant son histoire et celle de ses frères, elle se fait l’écho d’une génération, celle de ses parents, celle de Mai 68, la génération brisée par le mode de vie intransigeant de leurs aînés et prêts à s’en distancer, sans toujours réaliser à quel prix. Une fille-mère ayant décidé de garder son enfant contre le consentement de ses parents, et un homosexuel refoulé par la bienséance, des parents décidément atypiques, instillant un grain de folie dans le quotidien de leurs trois enfants, jusqu’à ce que leurs blessures intimes les entraînent vers la remise en question définitive, le repli sur soi et finalement, la séparation.

Bribes de souvenir plutôt que récit chronologique, Les Rêveurs explique, petit à petit les antécédents parentaux, la joyeuse pagaille du domicile familial puis la transformation progressive des deux parents, qui finissent par se séparer pour se trouver eux-mêmes. Isabelle revient sur l’incompréhension des enfants face à la crudité des discours de leurs parents, face à la découverte de l’homosexualité de leur père, face à l’apathie de leur mère. Les enfants subissent ce climat familial étrange, apprennent à vivre avec et vieillissent plus vite que les autres.

J’en ai tellement entendu, que les mots et les images se sont gravés en moi. J’ai vieilli d’un seul coup et suis redevenue en même temps une petite fille, celle qui réclame sa part, sa part légitime : qu’on s’occupe d’elle comme on devrait s’occuper d’un enfant. A force de réclamer un dû qui ne viendrait jamais, la vieille dame et la petite fille se sont mêlées l’une à l’autre pour grandir, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus les distinguer.

Le style est fluide, fluide comme une confidence glissée sur l’oreiller un matin de printemps. Isabelle Carré livre l’histoire de ses parents, mais elle se livre aussi elle-même, ses blessures, ses épisodes suicidaires, son retour à la vie grâce au théâtre. Malgré ce socle branlant que lui avait donné la vie, elle a réussi à trouver sa voie, à s’enraciner et à fonder une famille elle aussi, une jolie famille qui fait des châteaux de sable tous ensemble sur la plage. Grâce à ses parents atypiques et aux évènements difficiles qu’elle a traversé, elle pose sur le monde un regard emprunt de tolérance, d’espoir et d’optimisme, qui transparait dans ces pages, même quand elle raconte ses moments noirs. C’est une belle leçon de vie désordonnée, un livre qui se laisse lire, même s’il on doit parfois revenir en arrière pour comprendre la suite logique des évènements.


Résumé de l’éditeur :

«  On devrait trouver des moyens pour empêcher qu’un parfum s’épuise, demander un engagement au vendeur – certifiez-moi qu’il sera sur les rayons pour cinquante ou soixante ans, sinon retirez-le tout de suite. Faites-le pour moi et pour tous ceux qui, grâce à un flacon acheté dans un grand magasin, retrouvent l’odeur de leur mère, d’une maison, d’une époque bénie de leur vie, d’un premier amour ou, plus précieuse encore, quasi inaccessible, l’odeur de leur enfance…  »
I. C.

Quand l’enfance a pour décor les années 70, tout semble possible. Mais pour cette famille de rêveurs un peu déglinguée, formidablement touchante, le chemin de la liberté est périlleux. Isabelle Carré dit les couleurs acidulées de l’époque, la découverte du monde compliqué des adultes, leurs douloureuses métamorphoses, la force et la fragilité d’une jeune fille que le théâtre va révéler à elle-même. Une rare grâce d’écriture.


C’est une évidence, sans doute inutile à préciser, mais le problème de mon père ne tenait pas à son orientation sexuelle. Le problème venait en grande partie d’une époque, d’une éducation,d’un milieu, et de désirs si bien verrouillés qu’ils étaient devenus des bombes prêtes à exploser à l’intérieur de lui-même. C’est peut-être à cet endroit précis qu’ils se retrouvaient avec ma mère, dans la compréhension immédiate, la complicité d’un vécu partagé : la même absence de liberté, et surtout d’intérêt de leur famille à l’égard de ce qu’ils étaient vraiment.

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