#ReadingClassicsChallenge2018
1870. Après la terrible défaite de Sedan, les Prussiens occupent désormais la France, Rouen compris. Seul Le Havre continue de résister. Poussés par divers intérêts, un groupe de Rouennais parvient à obtenir l’autorisation de quitter la ville. Embarqué à bord d’une grande diligence, ce groupe hétéroclite apprend à se connaitre, bon gré mal gré. C’est à Tôtes que l’aventure prend une tournure dramatique : un officier ennemi refuse de les laisser repartir tant que Mlle Elisabeth Rousset, courtisane surnommée Boule de Suif, ne lui aura pas accordé une nuit. Vaincue par l’insistance des autres voyageurs, elle finira par céder, mais ne retira aucune gloire de son sacrifice héroïque…
Grand classique de la littérature française, ce conte clairvoyant et humoristique vaut véritablement le détour. J’avais prévu de lire Mont-Oriol, du même auteur, pour sortir des sentiers battus, mais devant ma difficulté à le trouver, j’ai privilégié une valeur sûre – et je ne regrette pas mon choix. Ma dernière lecture de Maupassant remonte à si loin que je ne suis même plus certaine qu’il s’agissait de Bel-Ami – à moins que ça n’ait été Une vie? Toujours est-il que je ne me souvenais pas de Maupassant comme d’un auteur particulièrement drôle. Mais ici, que d’humour ! Entre les personnages caricaturaux, les scènes de festins arrosés, et les conspirations de ces Messieurs Dames, il y a de quoi rigoler. C’est une satyre incroyablement bien tournée, fidèle au contexte si particulier de cette guerre de 1870, quand les Français ne savaient plus très bien s’il fallait être Orléanistes, Bonapartistes ou Républicains tandis que l’ennemi occupait leurs maisons.
Ici, les comtes et comtesses se retrouvent à partager leur banquette avec des révolutionnaires et des prostituées, et lorsque la faim les tiraille, ils n’hésitent pas à renier la bienséance pour partager de repas de ces gens peu recommandables. Fidèles à eux-mêmes, tous ces « bien-pensants », bonnes soeurs incluses, déploient des trésors de persuasions pour convaincre Boule de Suif d’accorder à l’officier prussien ce qu’il désire. Pourtant, aussitôt fait, tous se retournent contre elle – se gardant bien de partager leurs victuailles avec elle pendant le reste du trajet. Injustice, égoïsme et lâcheté sont les thèmes premiers de ce court récit, tandis que sacrifice et pression sociale restent latents derrière le réalisme saisissant de cette nouvelle.
« Boule de Suif, le conte de mon disciple dont j’ai lu ce matin les épreuves, est un chef-d’oeuvre, je maintiens le mot, un chef-d’oeuvre de composition, de comique d’observation. »
Paul Morand n’est pas moins enthousiaste que Flaubert : « une grande nouveauté, une parfaite réussite », souligne-t-il, tout en comparant la nouvelle à l’Olympia de Manet. Issue, seule de son espèce, d’une sorte de concours littéraire lancé lors d’une des soirées de Médan, Boule de Suif fait figure non de manifeste, mais d’accomplissement. Le bonheur d’un titre, la virtuosité d’un conteur qui joue sur tous les registres – y compris le comique -, servis par une plume souple et ferme à la fois, employée à peindre la cupidité aussi bien que l’amour, les préjugés ou le bonheur, n’y sont pas étrangers. Mais quelle recette mystérieuse et efficace est ici à l’oeuvre ? Maupassant à son meilleur saisit « dans leurs côtés cruels les réalités de la vie », non sans dégager de cet amalgame soigneux de bourgeois avides et d’humiliés perdus une poésie âcre et forte.
La femme, une de celles appelées galantes, était célèbre par son embonpoint précoce qui lui avait valu le surnom de Boule de suif. Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses, avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir. Sa figure était une pomme rouge, un bouton de pivoine prêt à fleurir; et là-dedans s’ouvraient, en haut, deux yeux noirs magnifiques, ombragés de grands cils épais qui mettaient une ombre dedans; en bas, une bouche charmante, étroite, humide pour le baiser, meublée de quenottes luisantes et microscopiques.
Elle était de plus, disait-on, pleine de qualités inappréciables.
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