Une immense sensation de calme Laurine Roux Les éditions du sonneur 68 premières fois

📖 68 Premières Fois – Hiver 2018

Baba a rejoint le Grand Sommeil. Seule, sa petite fille s’enfonce dans les sous-bois, et finit par être recueillie par les frères Illiakov. Elle passe la saison froide auprès d’eux, avant que la rencontre d’Igor bouleverse sa vie. A la fois humain et animal, Igor n’est qu’instincts. Il la fascine et la transporte, littéralement. Elle partira avec lui, l’accompagnant dans ses tournées auprès des vieilles babas et des Invisibles, au coeur de la montagne hostile, grandiose et imposante.

Là, il plaque sa bouche contre la mienne et boit mon essoufflement. Il explore mon corps aussi sûrement qu’il a parcouru la paroi et découvre des chemins que j’ignore. Sous ses mains je deviens argile, mica, rivière et palpitation. Il s’accroche à mes cheveux comme on s’agrippe à un buisson, respire mon cou comme on giboie. Notre souffle a des sons de houle. Je suis jeune mais pour la première fois je me sens entière et ma chair comprend qu’elle est chair de femme. Enfin mon corps s’apaise.

Aucune chronique ne peut véritablement rendre hommage à cette langue précise et recherchée, nous décrivant avec sincérité un paysage majestueux autant que menaçant. Il n’est pas donné à tous les auteurs de trouver les mots avec autant de justesse – une fois notre lecture terminée, ce sont ces mots qui restent gravés dans notre mémoire, plus encore que le conte noir qu’ils racontent. Nous restons encore un peu plus longtemps sur le lac gelé de la Taïga, à agiter le bras pour attirer les carpes, à éprouver nous aussi notre patience, vertu rare de notre monde en perpétuel mouvement.

Ce livre est une échappée, loin de notre monde, loin de notre réalité, loin de toute vérité. Un condensé de vie dans quelques pages, une vie tirée à l’extrême, en équilibre sur un fil, entre amours d’une intensité incomparable et morts d’une atrocité absolue. C’est la résignation des personnages au milieu de ces extrêmes qui nous donne une leçon – tout arrive pour une raison, Mère Nature y veille et nous nous devons de lui faire confiance. Nous nous laissons porter, comme eux, par la simplicité de leur quotidien, par les récits oraux qui alimentent les longues soirées auprès du feu de bois. En quelques pages, sont conjugués une intensité sans pareille, intensité des paysages et des sentiments, et un calme apaisant, calme des tapis neigeux et de l’acceptation des hommes.

Un conte à découvrir, à lire et relire, pour y découvrir toujours plus de sens cachés.


Résumé de l’éditeur :

Alors qu’elle vient d’enterrer sa grand-mère, une jeune fille rencontre Igor. Cet être sauvage et magnétique, presque animal, livre du poisson séché à de vieilles femmes isolées dans la montagne, ultimes témoins d’une guerre qui, cinquante ans plus tôt, ne laissa aucun homme debout, hormis les « Invisibles », parias d’un monde que traversent les plus curieuses légendes.
Au plus noir du conte, Laurine Roux dit dans ce premier roman le sublime d’une nature souveraine et le merveilleux d’une vie qu’illumine le côtoiement permanent de la mort et de l’amour.


La Lune commandait notre sang. Elle était notre mère. Plus petite et moins forte que le Soleil, elle était plus douce et légère. Comme elle, les femmes pouvaient se creuser jusqu’à devenir miettes. Pourtant, au plus fort de l’obscurité, la lune nouvelle continuait à diffuser son paisible halo. Chaque soir, la même histoire se répétait : le Soleil allumait ici ou là quelques brandons de colère, furieux de devoir quitter le monde, mais déjà la nuit mollissait l’incendie et ses vapeurs mauves, lénifiait sa violence pour laisser place au coassement gris du crapaud. Alors la Lune faisait apparaître son front, festonnant de lumière le contour des arbres, modeste dentelle, et, timide, s’élevait dans le ciel, si simple et ronde qu’on pouvait l’observer à l’oeil nu car elle n’avait aucun artifice à cacher, aucune blessure à taire, laissant voir à qui voulait s’en moquer les cratères poussiéreux maculer son corps blanc. Ainsi en avait-il été depuis des lustres et en serait-il tant que l’homme serait homme et la femme, femme.

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