La Massaia, Paola Masino, Naissance et mort de la fée du foyer Editions de la Martinière The Unamed Bookshelf

Naissance et mort de la fée du foyer

Elle a grandi dans une malle, à l’abri des pressions sociales et des obligations familiales, à se nourrir de croûtons moisis et à végéter au milieu de livres éparpillés. Mais sa mère allait mourir de chagrin alors elle honora sa requête : elle orchestra sa « vraie naissance ». Comme le papillon émerge de sa chrysalide, la jeune femme, une fois sortie de la malle, n’avait plus rien de commun avec la créature d’antan. Belle à la peau diaphane, elle éblouit ses parents et toutes leurs connaissances lors d’un grand bal, suite auquel elle fut donnée en mariage à un vieil oncle extrêmement riche. Là, La Massaia découvrit le fardeau imposé aux femmes : la responsabilité de la maisonnée. Elle tentera toute sa vie, et même au-delà, d’échapper au poids de sa domesticité, mais sans succès…

Les métiers dévolus aux hommes leur permettent de dormir. Les nôtres, non. Ils nécessitent une vigilance de chaque instant sur ce qui vous appartient. Lorsqu’il a fini sa journée, l’ouvrier peut aller boire un verre au bistrot ou bien s’asseoir devant la porte de sa maison, sa femme non : elle doit prendre soin de ses enfants, préparer le dîner, faire la lessive et repasser. Quand le bourgeois rentre du bureau, il peut enfiler ses pantoufles et écouter la radio, sa femme non. Elle doit aider ses enfants à faire leurs devoirs, détacher et repasser le costume que son mari portera le lendemain pour son rendez-vous avec le directeur. L’artiste peut ranger ses pinceaux, son stylo ou son luth et demander à sa compagne de l’abreuver de mots et de gestes sublimes, alors qu’elle a passé sa journée à poser pour lui, à dactylographier son manuscrit ou bien à…

Conte fantasque et fantaisiste, La Massaia nous entraîne dans un monde étrange et inquiétant, proche du nôtre mais chargé d’esprits malfaisants, inflexibles et menaçants. Notre héroïne se débat au milieu d’eux, incapable de façonner sa vie comme elle le souhaite, obligée de prendre la fuite pour échapper, de temps en temps à toutes ses obligations. Femme parfaite, elle est la plus malheureuse de toutes, alors qu’elle passe pour être la plus accomplie. Tout le récit tourne autour du renoncement, du poids social et de la force de l’habitude, ces liens entravant les femmes quotidiennement sans qu’elles puissent choisir de s’en extraire. Plus encore que ces réflexions sur le genre et les inégalités associées, l’auteur exploite chaque péripétie du roman en y insérant des réflexions plus larges, sur la guerre et la paix, sur le commerce et la famille, sur la mort et la religion.

Paola Masino démontre ici une maîtrise incroyable du genre littéraire, mêlant tous les styles : théâtrale, poétique, épistolaire, fantastique et romanesque. C’est un récit surprenant où chaque page prend une direction différente de celle que nous, lecteurs, aurions pu imaginer. Rêve ou réalité ? Le doute subsiste tout au long du roman, où chaque fantasmagorie est présentée comme foncièrement logique et réaliste, ayant sa place dans la vie de la Massaia. Parfois difficile à suivre, ce livre est tout de même une très belle découverte, qu’il aurait été dommage de ne jamais publier en France et je remercie les Editions de la Martinière de l’avoir fait.


Résumé de l’éditeur :

Une fable littéraire, féministe et anti-conformiste, jamais publiée en France.

A la façon du héros du Baron perché de Calvino qui voulait passer sa vie sur la cime des arbres, la jeune fille du roman vit… dans une malle, dont elle ne sort jamais. Celle-ci lui sert de « lit, d’armoire, de chambre ». L’héroïne, totalement négligée, devient sale, repoussante, davantage absorbée par ses questionnements sur le sens de son existence que par son apparence. Jusqu’au jour où les différentes pressions sociales et familiales ont raison d’elle : elle consent à sortir de son abri. C’est alors qu’advient sa « vraie naissance » – du point de vue des autres, du moins. Mariée à un vieil oncle, elle s’applique à rentrer dans le rang. Devenue une parfaite maîtresse de maison, elle ne cessera pourtant de ressentir les tentations de la liberté.


Fini les amoureux crasseux contemplant les étoiles du haut de leur donjon et les demoiselles, vêtues de la même sempiternelle robe, soupirant, le regard rivé sur un pot de basilic. Ces temps-là sont révolus, le monde a perdu toute sa poésie aux yeux des femmes depuis que vous les obligez à s’occuper de leur maison. Préparer un repas, c’est prévoir la quantité de nourriture que vous engloutirez le lendemain, savoir combien il coûtera, de quoi il sera composé, craindre de gaspiller et d’être volé. Dormir, c’est sentir, à chaque inspiration, l’odeur de l’eau de Javel sur la taie d’oreiller ; lire, c’est garder l’oreille à l’affût de la bonne qui surgira pour prévenir que la facture de gaz est arrivée ou que le robinet de la salle de bains s’est cassé ; regarder par la fenêtre, c’est voir les domestiques de la maison d’en face qui battent le tapis.

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