Les Mains dans les poches Bernard Chenez Editions Héloïse d'Ormesson Rentrée littéraire 2018 The Unamed Bookshelf

Eclats de vie, de l’enfance des petits boulots à l’usine où « la pointeuse du petit matin était un couperet ». Au milieu, ce sont les escapades à vélo avec les copains, les premières amours et leurs bouquets de pâquerettes, les parents éloquents par leurs vêtements ou la frappe de leur main. Toute l’histoire d’une vie, mais aussi celle d’une France progressivement désindustrialisée, l’histoire d’une jeunesse qui se soulève, l’histoire d’un mode de vie maintenant disparu, détruit comme les usines de l’Île de la Jatte.

Être autodidacte ça oblige aux chemins de traverse. On en fait des détours pour aller où la colère vous emmène. C’est comme monter un escalier en loupant des marches. Faut pas s’en plaindre. A personne. Faut continuer de monter, et cacher ses bleus aux genoux.

Arrivé à un certain âge, Bernard Chenez revient sur son passé, ses jeunes années surtout, par petits récits courts et poétiques, chargés d’une certaine morale, d’un certain message pour les générations futures. Il a connu l’usine, le travail à la chaîne assez jeune, moyen comme un autre de gagner quelques francs. Destiné à être chaudronnier, la forge n’a pas de secrets pour lui. Il nous raconte ses premiers faits d’armes, les petites révoltes de ses vingt ans, quand Mai 68 commençait à se dessiner à l’horizon. Il nous raconte les femmes, quelques femmes rencontrées, aimées, égarées. Chaque petit chapitre est l’illustration d’une époque révolue, perdue par le cortège implacable des années.

Ce livre n’a pas de fil rouge, pas de trame, pas de suite. C’est une circonvolution, où l’enfance se mêle à l’adolescence, où l’adulte rencontre le gamin tétanisé par la pantomime de son père. Aucune logique dans l’enchaînement de ces fragments, seulement la poésie des mots pour porter quelques messages sur la vie, quelques constats légers ou plus tragiques, qui ont longuement résonné en moi. Il n’est pas de ces livres qui se lisent d’une traite tant on veut en connaître la fin, c’est un livre qui se savoure, petit chapitre après petit chapitre, et j’ai beaucoup apprécié cette ballade poétique dans ces années que je n’ai pas connues.


Résumé de l’éditeur :

Mains dans les poches, gauloise au bec, il rentrait à pied du Quartier latin à la barrière de Clichy, porte d’entrée du monde prolétaire régi par le couperet des pointeuses, les cadences des chaînes de montage et l’esprit de fraternité. Gamin déjà, il se levait aux aurores pour aller gagner trois sous avant l’école et se payer un couteau à cran d’arrêt, celui de James Dean dans La Fureur de vivre !

Comme la terre suit sa révolution, le narrateur se souvient des saisons qui ont jalonné sa vie. Se dessinent les contours d’une mère dont le vêtement est plus éloquent que les propos, d’un père dont la main dit à elle selle la force et les failles, d’un premier amour jamais consommé, ou encore d’un coeur croisé le temps d’un slow. Les Mains dans les poches est une promenade à travers une société presque évanouie, une génération bercée par les espoirs des protest songs.


Il y a à Tokyo une ligne de train qui s’appelle Yamanote-sen. Circulaire. Entièrement aérienne. Elle délimite officieusement le centre de cette mégapole. Le temps de parcours est d’environ une heure. L’un de mes plaisirs est d’en faire le tour complet. Placé dans la première voiture, juste derrière la vitre du conducteur. La fois suivante, j’effectue le parcours à contre-courant, le nez collé sur la grande vitre du dernier wagon.
Ma façon d’écrire se juxtapose à cette façon de voyager.
J’annote seulement les gares au gré du parcours. Tantôt dans le sens de la marche, tantôt à contresens. Je m’interdis de descendre à une station. Je m’autorise juste le changement de quai. Seul le voyage compte.
Mon écriture n’a comme fil conducteur que le roulement incessant des roues sur les rails.

N’étant pas sujet au mal des transports, ce non-respect de la chronologie m’apporte la jouissance de l’imprévu.

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