Ma dévotion - Julia Kerninon - La Brune du Rouergue - Rentrée littéraire 2018 - The Unamed Bookshelf

Elle n’était ni sa mère, ni sa femme, ni sa maîtresse, et pourtant Helen a dédié sa vie à Frank, du jour où ont fui Rome pour s’installer à Amsterdam jusqu’au drame qui les a séparés. Quand elle croise Frank par hasard sur un trottoir de Londres, elle ne peut plus se taire, elle a besoin de raconter sa version de l’histoire, de leur histoire, une version qu’elle a tue tout au long des années pour le protéger, pour l’assurer de son soutien.

Voir se dérouler devant ses yeux l’histoire d’une vie, racontée à la première personne, a quelque chose de très captivant. On se sent pris à parti par ce personnage qui raconte en se racontant, qui se livre et se dévoile, cherchant quelque part l’assentiment, l’absolution du côté du lecteur. C’est une forme narrative extrêmement puissante, et intime, que Julia Kerninon exploite ici dans tout son potentiel, en un savant mélange de sentiments, de rebondissements et de tension dramatique. Helen et Frank se retrouvent à quatre-vingt ans, plus de vingt ans après leur dernière année de vie commune et tout ce que nous savons, c’est qu’un drame a finalement mis fin à leur cohabitation perpétuelle. De ce simple postulat de base, Julia Kerninon tire un roman fort, foisonnant, et addictif.

J’avais découvert Julia Kerninon grâce à son premier roman, Buvard, roman qui m’avait époustouflée par son style et par cet art, déjà si présent, de contrebalancer les confessions intimes et le suspense dévorant. Ma dévotion porte cet art encore plus haut, encore plus loin. Phrases longues et rythmées, succession de courts chapitres : l’urgence de cette confession se fait sentir, l’envie de tout raconter en arrivant rapidement à l’essentiel est palpable, on imagine presque Frank, en face d’Helen, perché sur ce trottoir Londonien, et son expression qui change au fur et à mesure des paroles de sa meilleure amie. La fluidité de l’écriture nous emporte dans chacun des endroits où ils ont vécu, dans chacun des moments qu’ils ont partagé, la justesse des mots nous fait ressentir tout ce qu’Helen a ressenti, nous permet de nous identifier à elle, de partager ses fêlures et ses joies passagères.

Un roman phénoménal, à dévorer d’une seule traite – essayez aussi de lire quelques passages à voix haute, vous serez époustouflés par la musicalité des mots (larmes garanties).


Résumé de l’éditeur :

Après vingt-trois ans de silence, Helen et Franck se croisent par hasard sur un trottoir de Londres.

Dans le choc de leurs retrouvailles, la voix d’Helen s’élève pour livrer à Frank sa version de leur vie ensemble, depuis leur rencontre en 1950, à Rome, alors qu’ils étaient encore adolescents, jusqu’à ce jour terrible de janvier 1995, qui signa leur rupture définitive. Elle retrace l’éblouissante carrière de peintre de Frank, et tout ce qu’il lui doit, à elle, sa meilleure amie.

Leurs deux destins exceptionnels, la force implacable qui les lia et les déchira, Julia Kerninon les peint avec subtilité, dévoilant en profondeur la complexité des sentiments – cette dévotion d’une femme à l’égard d’un homme, si puissante et parfois dangereuse.


Oui, s’ils pouvaient parler, j’en suis sûre, tes tableaux me trahiraient. Ils parleraient de ma stupidité, de mon aveuglement, de mon manque de franchise, et de mon égoïsme. Ils diraient comment ayant échoué à te séduire, je m’enorgueillissais à présent que tu sois revenu dans mes parages, et que affiches une telle dépendance à mes bienfaits. Je n’étais certainement pas la plus belle, ni la plus douée, des femmes qui t’entouraient, mais j’étais apparemment la seule nécessaire, celle qui n’avait jamais été remplacée par aucune autre, celle qui n’avait pas à mendier ta présence par téléphone comme le faisaient différentes voix féminines chaque semaine, mais uniquement à gravir d’un pas léger son escalier pour frapper à la porte du dernier étage de sa propre maison. C’était comme cacher un fugitif séduisant, garder prisonnière la princesse convoitée des contes de fées.

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