Par les écrans du monde Fanny Taillandier Editions du Seuil Rentrée littéraire 2018 The Unamed BookshelfJ’avais sept ans le jour où deux avions de ligne se sont encastrés dans les tours du World Trade Center. Il y a quelques mois seulement, à vingt-quatre ans, je suis allée à Ground Zero, au mémorial de 9/11 avec un new-yorkais, qui m’a donné tous les détails du lieu. Pour rentrer, j’ai pris l’avion au Boston Logan International Airport, j’ai couru sous les voûtes dessinées par Minoru Yamasaki, architecte du World Trade Center, sans savoir que les deux avions détournés avaient décollé de cet aéroport. Le 11 septembre est un évènement qui n’avait jamais eu de sens dans mon esprit, jusqu’à aujourd’hui, la dernière page du livre de Fanny Taillandier tournée.

Il y a des livres qu’on lit pour se distraire, d’autres pour s’évader, d’autres pour s’émouvoir. Celui-ci n’a fait partie d’aucune de ces catégories pour moi. J’ai lu ce livre pour comprendre, pour me remémorer, pour éclaircir cet épisode terrible dont je n’avais jamais rien compris. Je connais les images, elles m’ont hantées longtemps, dans mes cauchemars, à force d’entendre parler les adultes de cette catastrophe, des connaissances qui y ont laissé la vie, et des amis heureusement rescapés, pourtant au pied des tours ce jour-là. Cette lecture a été difficile, extrêmement éprouvante, terriblement violente. Entrelacés, le passé et le présent de Lucy, William et Mohammed Atta, coordinateur de l’attaque, touchent au coeur, éclairent l’évènement et redistribuent les cartes. Vacuité du monde moderne, sens aveugle du devoir, nombrilisme de la culture occidentale, tout se mêle et s’emmêle, 9/11 est une fin en soi, et le début d’autre chose, bien différent.

En filigrane, l’auteur traite d’un sujet plus vaste, particulièrement représenté dans cet épisode : l’invention du monde et l’instrumentalisation des images par les forces dominantes. Elle examine les représentations de nos démocraties modernes : le pouvoir destructeurs des cartes, bouts de papier fixant les limites de nos territoires et servant à légitimer des tueries, les éléments de langage utilisés par Georges W. Bush, repris de la Bible, le discours réducteur des extrémistes d’Al-Qaida, détournant les mots du Coran pour leur donner un autre sens. Du 11 Septembre 2001, plus encore que l’évènement lui-même, ce sont les images qui restent, scandées par des milliers de télévisions au même moment, dans le monde entier, en direct, dans l’incompréhension la plus totale. Le discours narratif est venu après, mais que doit-on véritablement en penser? Ici, la théorie du complot n’a pas sa place, ce sont les faits qui sont décrits, seulement accompagnés de remarques sur l’attentisme de l’administration américaine, la relative exhaustivité de l’enquête sur Mohammed Atta, le danger des récits dans leur compréhension littérale et leur instrumentalisation.Fanny Taillandier veut faire réfléchir, et elle ne prend pas de pincettes pour nous envoyer à la face les faits bruts. J’en suis ressortie bouleversée, chamboulée, éclairée certes mais remplie de doutes et d’incertitudes. Un grand choc.


Résumé de l’éditeur:

Dans l’aube à peine levée sur un lac proche de Detroit, aux États-Unis, un vieil homme insomniaque laisse successivement le même message à sa fille et à son fils : il va bientôt mourir. Elle est une brillante mathématicienne et travaille à calculer les risques dans une compagnie mondiale d’assurances dont le siège est au World Trade Center, à New York. Lui est un vétéran de l’US Air Force, il dirige la sécurité à l’aéroport de Boston. C’est le matin du 11 septembre 2001 et un jeune architecte égyptien, Mohammed Atta, a pris les commandes d’un Boeing 767.

Entre roman d’espionnage et méditation historique, entre western et fable dostoïevskienne, Fanny Taillandier propose de parcourir le labyrinthe cathodique d’un millénaire dont le spectacle, d’emblée, s’impose comme une énigme.


Car lorsque le récit des puissants réduit trop de vaincus au silence, les vaincus en écrivent d’autres, reprennent les terres par les mots à défaut de les reprendre par les armes. Dans le noir, privés d’images, les récits se déclarent, se répondent , se contrecarrent ; croissent hors champ, en rhizomes, en zones autonomes qui s’ouvrent et se referment. Personne ne regarde pourtant c’est ce qui compte, car tout le monde a besoin d’une épopée. Seuls nos mots font exister le monde. Et ces récits se propagent, passés en toutes les langues par des traducteurs enthousiastes.

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