🏆Prix Matmut 2019
Pour survivre dans la rue, tuer semble inévitable : tuer pour se défendre, tuer pour garder son territoire, tuer pour obtenir ce dont on a besoin. Il a commencé par tuer un chien, juste pour s’en tirer, juste pour pas se faire attraper. Il finira par tuer le propriétaire, Charles de Montesquiou, un homme solitaire au physique étrangement proche du sien. En endossant cette nouvelle identité, il découvre des choses étranges, des objets déroutants cachés dans la belle maison du 16ème arrondissement. Charles de Montesquiou est-il vraiment celui qu’il prétend être ? Bourgeois ou tueur ? Qui est je ?
C’est d’abord une histoire banale, un homme à la rue à cause d’un concours de circonstances malheureux, à cause d’un femme – sa femme – sujette à la tromperie et la manipulation. Dès le début, le ton est rude, les mots sont francs, Philippe Laidebeur ne fait pas dans la dentelle, mais dans la lucidité – et son personnage aussi. On s’attache tout de suite à ce petit monsieur et ses magouilles pour survivre, à ses goûts de luxe et sa rage de vivre. Et puis, c’est le retournement romanesque par excellence – tout se passe très vite, le clodo devient bourgeois, il prend l’identité de Charles de Montesquiou.
A partir de là, on plonge dans un suspense tendu. On s’amuse des réflexions de ce narrateur subitement réintégré dans la société, tout en sachant pertinemment bien que quelque chose va lui arriver à tout moment. Quand ça arrive, on admire l’imagination débordante de l’auteur, qui se révèle petit à petit en même temps de que le passé de ce propriétaire richissime du 16ème arrondissement parisien. On s’en doutait – mais tous ces détails, tous ces épisodes et anecdotes, ça nous dépasse. Notre narrateur aussi est dépassé par les événements, et son identité se brouille, il est Charles mais il ne l’est pas, il sait des choses et en ignore beaucoup d’autres, il regrette et revendique sa nouvelle identité. Se pose alors la question de la responsabilité, de la schizophrénie et du je – peut-on devenir un autre sans sombrer complètement dans la folie ?
Il est SDF, clodo, sans abri. Un échec sentimental, un désastre professionnel, et le voilà dans la rue. Il y vit depuis dix ans. Et touchera bientôt le fond de sa descente aux enfers. Vagabond solitaire, il gère son quotidien en évitant les pièges que lui tend la jungle urbaine.
C’est tout du moins ce qu’il croit. Une nuit, pour une banale histoire de planches volées, il égorge un vigile et son chien. Il le fait machinalement, sans la moindre émotion. Ce sera le premier meurtre d’une longue série. Tuer pour ne pas être tué, sa vie est aussi primitive que cela.
Un jour, il élimine un homme qui lui ressemble de façon étonnante et, tout naturellement, il prend sa place. Il usurpe l’identité d’un étrange et riche inconnu.
Porte de sortie inattendue? Chance ultime ou erreur fatale? Peut-on entrer dans la peau d’un autre sans prendre le risque de voir un passé sulfureux rattraper un présent chaotique? Sans payer le prix du sang?…
« SDF » sonne à l’oreille comme une erreur administrative. Comme une chose contre laquelle personne ne peut rien, contre laquelle personne, au fond, vraiment personne, ne veut rien. Une chose que l’on peut faire semblant d’avoir vaguement l’intention de réparer, un jour… lorsqu’il n’y aura plus rien de plus important à faire ! Une générosité que l’on peut mettre sans risque dans un programme électoral : on sait qu’il est trop tard, que personne n’y croira. Cela ne coûte donc rien. « SDF » : le mot ne dit bien entendu rien de l’injustice, de la blessure intime, de la détresse, rien de ce qui est l’aboutissement d’une galère implacable, rien de l’alcool qui abrutit lentement, de la faim qui déchire le ventre, du froid qui engourdit le corps, rien de la mort qui rôde, du harcèlement des flics, de l’indifférence des passants, des dangers de la rue. Un coup de lame pour un fond de rouge, pour un coin à l’abri du vent, pour un vieux duvet puant la merde. Un coup de tatane pour une boîte de sardines.
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