Les Furtifs Alain Damasio Editions La Volte The Unamed Bookshelf 2019

Quinze ans après La Zone du Dehors et La Horde du Contrevent, Alain Damasio revient sur la scène littéraire avec un roman plus hybride que jamais, plus inventif que les précédents, et plus chargé, à la fois en émotions, en imagination et en messages socio-politiques. Au travers d’une intrigue simple – un père à la recherche de sa fille disparue, il nous entraîne dans un futur des plus probables et dans une aventure rocambolesque comme lui seul sait les inventer. De traque en fuite, de douce écoute en cacophonie guerrière, de haine farouche en amour retrouvé, Damasio nous balade dans les méandres d’une fiction utilisant le juste dosage de vision, d’action et d’émotion.

Savoureux mélange des thèmes-clés de la pensée d’Alain Damasio, Les Furtifs explore à la fois les conséquences possibles de la banqueroute de nos Etats modernes, les possibles dérives des réseaux sociaux et du « Pig Data« , les écarts croissants entre les pauvres et les riches, l’inadéquation du système éducatif français aux enjeux d’aujourd’hui, et encore bien d’autres sujets d’actualité qui nous touchent au quotidien. Habilement amenés au cœur d’une intrigue haute en couleur, ces prises de position sont des respirations dans le rythme soutenu du récit, des moments de prise de recul et de réflexions permettant de s’immerger un peu plus dans l’univers imaginé par l’auteur, mais aussi de sortir de cette lecture avec un regard critique étoffé sur le monde.

Au-delà de ses prises de position et de la richesse de ses univers, ce qui, pour moi, fait d’Alain Damasio un auteur absolument unique, c’est son utilisation de la langue de française, de ses sons et de ses signes. Déjà dans la Horde du Contrevent, j’avais été bluffée par sa capacité à inventer certains mots tout en les rendant absolument logiques et compréhensibles, à choisir le vocable le plus approprié pour chaque sensation, chaque action, chaque contemplation, et par son utilisation unique des signes pour donner du relief au récit. Ici, il est allé encore plus loin, n’hésitant pas à retourner les mots, fluidifier la langue, composer de nouveaux concepts, parler à travers les conjugaisons, utiliser les signes pour rendre l’intensité d’un moment !

Pour Les Furtifs, Alain Damasio a pris le meilleur de la Zone et de la Horde, tout en poussant encore plus loin l’inventivité, la puissance narrative et la témérité dont il avait déjà fait preuve dans ses romans précédents : un chef d’oeuvre de la littérature moderne.


Résumé de l’éditeur:

Ils sont là parmi nous, jamais où tu regardes, à circuler dans les angles morts de la vision humaine. On les appelle les furtifs. Des fantômes ? Plutôt l’exact inverse : des êtres de chair et de sons, à la vitalité hors norme, qui métabolisent dans leur trajet aussi bien pierre, déchet, animal ou plante pour alimenter leurs métamorphoses incessantes.

Lorca Varèse, sociologue pour communes autogérées, et sa femme Sahar, proferrante dans la rue pour les enfants que l’éducation nationale, en faillite, a abandonnés, ont vu leur couple brisé par la disparition de leur fille unique de quatre ans, Tishka – volatilisée un matin, inexplicablement. Sahar ne parvient pas à faire son deuil alors que Lorca, convaincu que sa fille est partie avec les furtifs, intègre une unité clandestine de l’armée chargée de chasser ces animaux extraordinaires. Là, il va découvrir que ceux-ci naissent d’une mélodie fondamentale, le frisson, et ne peuvent être vus sans être aussitôt pétrifiés. Peu à peu il apprendra à apprivoiser leur puissance de vie et, ainsi, à la faire sienne.

Les Furtifs vous plonge dans un futur proche et fluide où le technococon a affiné ses prises sur nos existences. Une bague interface nos rapports au monde en offrant à chaque individu son alter ego numérique, sous forme d’IA personnalisée, où viennent se concentrer nos besoins vampirisés d’écoute et d’échanges. Partout où cela s’avérait rentable, les villes ont été rachetées par des multinationales pour être gérées en zones standard, premium et privilège selon le forfait citoyen dont vous vous acquittez. La bague au doigt, vous êtes tout à fait libres et parfaitement tracés, soumis au régime d’auto-aliénation consentant propre au raffinement du capitalisme cognitif.


Ils acceptent parce que nous rêvons tous d’un monde bienveillant, attentif à nous. Un monde qui prenne soin de nos esprits et de nos corps stressés, qui nous protège et nous choie, nous aide et corrige nos erreurs, qui nous filtre l’environnement et ses dangers. Un monde qui s’efforce d’aménager un technococon pour notre bien-être. L’intelligence ambiante pourvoit à ça. Elle nous écoute et elle nous répond. Elle courbe cette bulle autour de nos solitudes. Elle la tapisse d’objets et d’interfaces cools. Bien sûr, elle en profite pour nous espionner jusqu’au slip et pour nous manipuler jusqu’à la moelle ! Mais au moins, elle s’occupe de nous, ce que plus personne ne fait vraiment… C’est un cercle vicieux. Plus nos rapports au monde sont interfacés, plus nos corps sont des îlots dans un océan de données et plus nos esprits éprouvent, inconsciemment, cette coupure, qu’ils tentent de compenser. Et ils la compensent en se reliant à des objets, en touchant et en parlant à des dispositifs qui nous rassurent – et nous distancent en même temps. Un réseau social est un tissu de solitudes reliées. Pas une communauté.

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