Un bled paumé, un meublé glauque, un mec en fuite. Voilà dans les grandes lignes le pitch de La science de l’esquive, nouveau roman de Nicolas Maleski. On ne sait pas ce qu’il fuit, ce Kamel Wozniak, et lui ne sait pas très bien où il va lorsqu’il pose ses bagages dans la maison qu’il a louée à Richard Villersexel. Malgré lui, les gens du crû vont petit à petit le prendre en affection, l’emmener courir, lui faire découvrir le plateau, lui raconter leurs histoires sordides et leurs peines de cœur. Avec un style d’écriture étrangement haletant et contemplatif, Nicolas Maleski nous maintient dans le doute sur ce personnage, à la fois bad boy et ami loyal, un anti-héros qu’on aimerait détester mais qu’on prend en affection, comme tous les autres personnages du récit.

C’est avec une langue hachée, pleine de violence contenue, où les mots sont assénés sans pitié, que l’auteur nous raconte l’histoire de Kamel Wozniak – cette homme sans origine, au nom déraciné, porteur d’une dualité faisant la part belle aux stéréotypes. Il installe un suspense dévorant, en laissant planer le doute sur les raisons ayant poussé cet homme tatoué, ancien taulard, à s’enfuir en douce pour se réfugier aux Catalpas. Dans ses interactions avec une bande de jeunes idéalistes, pionniers du retour à la terre, on comprend que cet homme rejette le monde moderne, la société de consommation, le capitalisme réduisant les hommes à leurs boulots fictifs, où le travail n’a plus de sens. Difficile d’en dire plus sans vous gâcher totalement la surprise – arrêtons-nous là.

Il faut dire que j’ai dévoré de roman, happée par le style de Nicolas Maleski d’abord, ce côté brut de décoffrage, direct et sans artifices. Ensuite, c’est ce personnage qui m’a intrigué, cet homme ambivalent, en recherche de solitude mais foncièrement sociable, cet homme qu’on voudrait prendre pour un meurtrier tout en sachant pertinemment bien que ça ne colle pas du tout. Enfin, c’est la réflexion politique et sociale qui a remporté mon adhésion et me donne envie de découvrir Sous le compost, premier roman de l’auteur. Notre société moderne et nos vies laborieuses se retrouvent détricotées sous la plume de Nicolas Maleski avec clairvoyance et réalisme.


Résumé de l’éditeur :

« Rien n’indiquait que c’était son jour. Il n’y avait rien de particulier dans l’air. En refermant la porte derrière lui, il savait que c’était la dernière fois. Il n’y avait plus à réfléchir. Sa décision était prise. Il restait à exécuter le plan. Les trottoirs étaient noirs de monde, les magasins happaient et recrachaient les badauds à jets continus. À cet instant il était encore un homme honnête. C’était facile en vérité de basculer dans l’horreur.»

Kamel Wozniak est en fuite. Locataire d’un meublé où pour rester invisible il faut se montrer habile, l’ancien boxeur sur ses gardes tente de se faire oublier le temps d’un été au vert. Mais de qui ? Et où s’arrête son plan B ? Difficile de disparaître dans une petite ville où un garçon comme lui, aux airs de desperado, n’est pas sans piquer les curiosités.
Après Sous le compost, Nicolas Maleski signe un roman qui s’ouvre comme un film des frères Coen, ménage un suspense de polar et déroule, dans langue où la lucidité combat à armes égales avec la causticité, l’épopée d’un antihéros insaisissable et pourtant pas si éloigné de nous.


Il pense au manuscrit de Villersexel qui prend la poussière sur un buffet. Tiens, il devrait relater sa vie au tamanoir, une nuit, devant une bonne bouteille. Ça lui ferait un sujet de bouquin. Comment les deux dernières années il n’a pas pris de vacances, prétextant qu’il avait trop de travail. Il préférait ne pas décrocher car revenir était un supplice, plus difficile à endurer que lorsqu’on affronte le quotidien au jour le jour, qu’on le serre de près comme une routine insalubre. Le climat vénal lui foutait la boule au ventre. Il se la bouclait, renvoyant de lui une image satisfaite pour laisser croire que tout allait bien. Il s’accrochait alors que tout lui disait d’arrêter. Il avait besoin de la rémunération de ce métier toxique. A maintes reprises, il avait pensé se reconvertir. Des activités utiles ; déménageur, électricien, infirmier. Mais il aurait gagné trois fois mois, c’est-à-dire pas assez. Là était le piège, la plupart des boulots nécessaires sont les moins payés.

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