🙋🏼Grand Prix des Lectrices Elle 2020
En 2014, des lycéennes étaient capturées par Boko Haram au Nigéria. Elles sont restées prisonnières plusieurs années pour la plupart, ont subi de nombreux sévices et ont été mariées de force à des djihadistes. Même libérées, elles continuent à être ostracisées, bafouées, diminuées par leurs communautés, pour lesquelles elles sont entachées à jamais par cet épisode. Edna O’Brien s’empare courageusement de ce sujet difficile, sensible et potentiellement explosif, pour restituer l’horreur qu’elles ont connu et faire connaître au monde le destin maudit qui fut le leur – pour cette simple raison, ce livre mérite d’être lu et partagé.
La quatrième de couverture nous décrit ce roman comme un « monologue halluciné« , celui d’une jeune femme qui voit sa vie basculer du jour au lendemain alors qu’elle espérait seulement réussir son baccalauréat, et c’est exactement ça. L’auteure nous fait pénétrer dans la tête de cette jeune fille de dix-sept ans, dans ses illusions hallucinatoires, dans les mécanismes de défense qu’elle met en place dans son esprit lorsqu’elle est violée successivement par plusieurs hommes. C’est d’une violence inouïe et en même temps feutrée, parce que tout reste flou en dehors de cette tête dans laquelle nous sommes entrés. Les descriptions sont vagues, les événements se succèdent sans toujours faire sens, c’est comme une longue errance sur laquelle nous n’avons pas de prise. Ce style assez déroutant a compliqué ma compréhension des faits, me faisant certes ressentir toute l’horreur de la situation dans laquelle se trouve la narratrice, mais me gardant à distance de la réalité de cette situation.
C’est donc confuse que je sors de cette lecture, malgré le temps passé à glaner des informations pour l’étayer, je reste convaincue de n’avoir pas tout saisi, ce qui me semble regrettable tant ce sujet avait suscité mon attention et mon envie de comprendre.
Le nouveau roman d’Edna O’Brien laisse pantois. S’inspirant de l’histoire des lycéennes enlevées par Boko Haram en 2014, l’auteure irlandaise se glisse dans la peau d’une adolescente nigériane. Depuis l’irruption d’hommes en armes dans l’enceinte de l’école, on vit avec elle, comme en apnée, le rapt, la traversée de la jungle en camion, l’arrivée dans le camp, les mauvais traitements, et son mariage forcé à un djihadiste – avec pour corollaires le désarroi, la faim, la solitude et la terreur.
Le plus difficile commence pourtant quand la protagoniste de ce monologue halluciné parvient à s’évader, avec l’enfant qu’elle a eue en captivité. Celle qui, à sa toute petite fille, fera un soir dans la forêt un aveu déchirant – « Je ne suis pas assez grande pour être ta mère » – finira bien, après des jours de marche, par retrouver les siens. Et comprendre que rien ne sera jamais plus comme avant : dans leur regard, elle est devenue une « femme du bush », coupable d’avoir souillé le sang de la communauté.
Girl bouleverse par son rythme et sa fureur à dire, à son extrême, le destin des femmes bafouées. Dans son obstination à s’en sortir et son inaltérable foi en la vie face à l’horreur, l’héroïne de ce roman magistral s’inscrit dans la lignée des figures féminines nourries par l’expérience de la jeune Edna O’Brien, mise au ban de son pays pour délit de liberté alors qu’elle avait à peine trente ans.
Soixante ans plus tard, celle qui est devenue l’un des plus grands écrivains de ce siècle nous offre un livre d’une sombre splendeur avec, malgré tout, au bout du tunnel, la tendresse et la beauté pour viatiques.
Les mots ont jailli d’elle comme la lave, reproduisant la mort de Youssouf, la mort à la machette de Youssouf, et ce n’était pas comme elle l’avait appris par deux ouvriers, non, mais comme si elle était maintenant le médium sur qui il pesait, le poids de la vengeance.
Youssouf était parti, je restais. Elle m’en veut. Si je n’avais pas été le chouchou de mon père, si je n’avais pas tenu aux études secondaires, si je n’avais pas pris ce bus, rien de tout cela ne leur serait tombé dessus. Les si de l’accusation planaient dans l’air tels les cris d’agonie de grenouilles accouplées. Je voulais faire la paix. J’étais à la maison, ou presque. J’ai tendu à nouveau la main pour l’atteindre, mais elle a encore tiré sur ses tresses telle une déesse forcenée, les a jetées comme si elles étaient malfaisantes.
Plus d’informations et de citations sur Babelio.
Tagué:Boko Haram, Edna O'Brien, Nigéria, Sabine Wespieser
j’hésite depuis le début à lire ce livre: le sujet est encore trop actuel et me bouleverse trop (un peu comme les livres sur les attentats »)
je viens d’acheter « Le lambeau » et « vous n’aurez pas ma haine » bien après leur sortie pour cette raison 🙂
alors celui-ci n’est pas pour tout de suite 🙂
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