Le Consentement Vanessa Springora Editions Grasset Gabriel Matzneff Grand Prix des Lectrices Elle 2020 Essai The Unamed Bookshelf

🙋🏼Grand Prix des Lectrices Elle 2020

Que dire sur ce livre qui n’ait pas déjà été dit mille fois ? Après tant de battage médiatique, je m’attendais à être irrémédiablement déçue par ce texte – et pourtant, il n’en est rien, j’ai été touchée comme tant d’autres lecteurs par la justesse des mots tremblants de Vanessa Springora. Est-il encore nécessaire de vous rappeler l’histoire de ce livre, ou avez-vous déjà suffisamment vu d’articles sur la pédophilie affichée et cautionnée de Gabriel Matzneff pour savoir à quoi vous en tenir ? Moi aussi je connaissais l’histoire avant de lire ces pages – mais j’ai quand même été choquée. Comment un homme de cinquante ans peut-il librement fréquenter une gamine de quatorze ans, l’embrasser dans la rue, s’afficher avec elle sur les plateaux télé, sans que personne ne questionne le caractère immoral de cette relation assumée ?

Cet essai, puisque c’est dans cette catégorie qu’il a été rangé pour le Grand Prix des lectrices de Elle, est effectivement un témoignage bouleversant sur des abus sexuels librement pratiqués il y a encore quelques décennies, dans notre pays pourtant très à cheval sur la morale. Mais plus qu’une révélation sur ces pratiques inadmissibles, c’est aussi un grand questionnement sur la liberté, d’expression et sexuelle notamment. Doit-on tout publier, même si ce qui est raconté est illégal et socialement réprouvé ? Et si une censure doit être faite, qui aurait la légitimité pour la faire ? Quand il s’agit de liberté sexuelle, comment dissocier ce qui est consenti de ce qui ne l’est pas ? Est-ce que l’âge est un indicateur suffisant quand il s’agit d’estimer la capacité d’une personne à exprimer son contentement ? Où doit s’arrêter la liberté sexuelle prônée par les soixante-huitards et qui peut le définir ? Le monde littéraire s’est érigé en maître dans cette affaire, cautionnant l’inadmissible, au nom de la liberté d’expression et la liberté sexuelle.

La ligne est fine entre la liberté et la transgression, G. l’a définitivement passée, comme le raconte avec beaucoup de retenue et d’honnêteté V., qui portera à jamais les séquelles de cette relation illégale. Il est nécessaire de lire ce genre de récit pour prendre conscience de la fragilité de l’équilibre sur lequel notre société s’est construite et savoir que toute cette liberté dont nous disposons peut aussi amener une part d’ombre.


Résumé de l’éditeur :

Au milieu des années 80, élevée par une mère divorcée, V. comble par la lecture le vide laissé par un père aux abonnés absents. À treize ans, dans un dîner, elle rencontre G., un écrivain dont elle ignore la réputation sulfureuse. Dès le premier regard, elle est happée par le charisme de cet homme de cinquante ans aux faux airs de bonze, par ses œillades énamourées et l’attention qu’il lui porte. Plus tard, elle reçoit une lettre où il lui déclare son besoin «  impérieux  » de la revoir. Omniprésent, passionné, G. parvient à la rassurer : il l’aime et ne lui fera aucun mal. Alors qu’elle vient d’avoir quatorze ans, V. s’offre à lui corps et âme. Les menaces de la brigade des mineurs renforcent cette idylle dangereusement romanesque. Mais la désillusion est terrible quand V. comprend que G. collectionne depuis toujours les amours avec des adolescentes, et pratique le tourisme sexuel dans des pays où les mineurs sont vulnérables. Derrière les apparences flatteuses de l’homme de lettres, se cache un prédateur, couvert par une partie du milieu littéraire. V. tente de s’arracher à l’emprise qu’il exerce sur elle, tandis qu’il s’apprête à raconter leur histoire dans un roman. Après leur rupture, le calvaire continue, car l’écrivain ne cesse de réactiver la souffrance de V. à coup de publications et de harcèlement.
«  Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence  : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre  », écrit-elle en préambule de ce récit libérateur.

Plus de trente ans après les faits, Vanessa Springora livre ce texte fulgurant, d’une sidérante lucidité, écrit dans une langue remarquable. Elle y dépeint un processus de manipulation psychique implacable et l’ambiguïté effrayante dans laquelle est placée la victime consentante, amoureuse. Mais au-delà de son histoire individuelle, elle questionne aussi les dérives d’une époque, et la complaisance d’un milieu aveuglé par le talent et la célébrité.


L’abus sexuel, au contraire, se présente de façon insidieuse et détournée, sans qu’on en ait clairement conscience. On ne parle d’ailleurs jamais d’ « abus sexuel » entre adultes. D’abus de « faiblesse », oui, envers une personne âgée, par exemple, un personne dite vulnérable. La vulnérabilité, c’est précisément cet infime interstice par lequel des profils psychologiques tels que celui de G. peuvent s’immiscer. C’est l’élément qui rend la notion de consentement si tangente. Très souvent, dans les cas d’abus sexuels ou d’abus de faiblesse, on retrouve un même déni de la réalité : le refus de se considérer comme une victime. Et, en effet, comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître.

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