
Lors d’une de nos premières rencontres, Delphine m’avait longuement parlé d’Abnousse Shalmani, et de son premier livre au titre hautement improbable, associant à la fois un dictateur intégriste et le grand maître du libertinage français, à l’origine de la notion de « sadisme ». Ce titre m’est resté en tête, et c’est avec beaucoup d’attentes que j’ai fini par ouvrir ce livre, plusieurs années après, en pleine tourmente personnelle et professionnelle – et ça a été une magnifique claque, bien loin de tout ce que j’avais pu m’imaginer.
Mêlant anecdotes personnelles, analyses diablement intelligentes, faits d’actualité, références littéraires diverses et humour décalé, Abnousse Shalmani nous parle des femmes, de leur droit à appartenir à l’espace public, et de la nécessaire séparation de la religion du politique pour éviter des dérives sociales inadmissibles comme celles qui ont été mises en place en Iran depuis l’avènement de l’ayatollah, ou encore en Afghanistan sous les talibans. J’ai été absolument soufflée par sa réflexion très poussée sur la place de la femme dans les sociétés occidentales et orientales, nourrie par une étude approfondie des femmes présentes dans l’Islam, depuis la première femme musulmane, Hagar, mère d’Ismaël, déconsidérée par la tradition islamiste malgré son rôle-clé. J’ai appris énormément sur cette religion, son histoire et ses traditions, sur les raccourcis que font ceux qui n’y connaissent rien, sur les dérives généralisées et les amalgames qui ont vu le jour après le 11 septembre et les révolutions arabes. J’ai découvert le soufisme à travers la figure admirable du grand-père de l’auteure, exemple de tolérance et d’acceptation, vivant sa religion dans la plus grande humilité sans en faire peser le poids sur les autres.
L’érudition d’Abnousse Shalmani m’a bluffée, son regard critique m’a questionnée jusqu’au plus profond de mon âme, et son amour pour la France m’a fait prendre énormément de recul sur mon propre désamour pour ce pays qui est le mien. J’ai trouvé fascinant comment la littérature libertine lui a permis de réintégrer le corps dans les choses de l’esprit, de le dédramatiser et de dépasser les interdits et constructions sociales auquel il est soumis, encore aujourd’hui dans nos sociétés actuelles. Khomeiny, Sade et moi bouille de réflexions politiques, sociales et culturelles immensément riches, que l’expérience personnelle de l’auteure aide à comprendre et à illustrer, le tout dans une prose à la fois accessible et exigeante. Un des meilleurs livres que j’ai lu récemment !
A Téhéran, dans les années 1980, une petite fille de six ans, contrainte de porter le voile, se révolte en se dénudant. Se soumettre aux exigences des « barbus » et autres « corbeaux » lui paraît absurde. Son père l’approuve et, afin de fuir brimades et contraintes, la famille va s’exiler à Paris. Abnousse Shalmani découvre alors que la liberté n’est pas celle qu’elle aurait souhaitée. Sa révolte n’est donc pas finie. Mais cette fois, c’est la littérature française qui va lui fournir des armes. La petite fille, devenue femme, va faire de Sade, de Victor Hugo et de Colette (entre autres) des appuis précieux dans son combat contre l’oppression en général et celle du corps féminin en particulier.
Joyeux pamphlet, ce récit alterne les anecdotes intimes et les événements socio-politiques avec humour et enthousiasme.
C’est ainsi et seulement ainsi, dans l’intimité de la lecture, dans la démarche irréversible de l’apprentissage intellectuel, que les femmes n’auront plus jamais peur de leur corps, des hommes, de leur mère, de leur père, du pouvoir. Ne cherchez pas plus loin, ne cherchez pas des armes plus performantes, des soldats plus aguerris, des slogans plus percutants, bombardez les pays des barbus avec des romans libertins du XVIIIe siècle français, donnez à lire, donnez à penser. Donnez-leur de quoi briser leurs chaînes, donnez-leur de quoi respirer pour de bon, donnez-leur de quoi incendier tous les voiles du monde. Et ce jour-là, vous verrez une mère et un père accompagner avec fierté leur petite fille à l’école pour son premier jour. Et le premier barbu qui voudra leur dire « non », qui voudra que la jeune fille ne sache pas lire, qui voudra la voir mariée avec un vieux barbu, ce premier barbu n’aura pas le droit d’exister. Il sera déjà mort.
Plus d’informations et de citations sur Babelio.
Tagué:Abnousse Shalmani, Editions Grasset, Femmes, Iran, Islam, Khoneiny, Littérature, politique, Voile
il est dans mas PAL car j’ai beaucoup aimé « Les exilés meurent aussi d’amour »
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Oui il est très bien aussi, j’avais commencé ma découverte d’Abnousse Shalmani avec celui-ci également 😊
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Je note ce titre que je ne connais pas du tout… Ton avis me donne envie de m’y plonger tout de suite tant les sujets abordés sont de ceux que j’ai envie de lire en ce moment. Les femmes, la religion, la société, je me questionne sur tout cela et j’aime que la littérature le fasse également et m’aide à poser mes réflexions. Merci pour cet avis !
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De même pour moi, j’aime varier les lectures et un petit essai qui fait réfléchir de temps en temps, c’est toujours appréciable !
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Je suis amplement d’accord ! Je pense également qu’on ne met pas suffisamment les essais en avant, de peur de leur complexité mais si certains le sont, d’autres sont accessibles et amènes des réflexions plus que pertinentes dont il serait dommage de ce passer.
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Je n’en avais jamais entendu parler, merci de la découverte !
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Avec plaisir, j’espère que ça t’encouragera à le lire à ton tour 🙂
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Un titre qui forcément intrigue mais au-delà le contenu que tu décris a l’air particulièrement intéressant !
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C’est passionnant !
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