Cinq dans tes yeux, c’est l’expression d’Ichem pour combattre le mauvais oeil. Utilisée à outrance, cette maxime n’aura pourtant pas empêché Marseille de se transformer complètement sous l’influence des « Venants », ces bobos venus d’ailleurs, reléguant la diversité culturelle dans les quartiers nord inaccessibles. C’est cette transformation radicale que raconte Hadrien Bels dans ce roman décapant et désillusionné, où le Marseille d’aujourd’hui apparaît colonisé par les clichés, ceux des bobos parisiens qui squatte à la Friche de la Belle de Mai, et ceux des familles arabes aux mariages orientaux convenus. Au milieu de tout ça, Stress ne s’y retrouve pas, lui qui a grandi dans le quartier et usé les bancs de la Place des Moulins avec sa bande de potes.
Hadrien Bels nous refait la géographie de Marseille à coups de souvenirs d’enfance et d’errances cocaïnées d’adulte en perdition, avec une langue amère et acérée. Son style au vitriol n’épargne personne, s’en prenant avec rage à tous les Venants, à tous ceux qui lui ont volé son enfance et sa ville, à lui-même aussi parfois, un raté accroché au passé. Difficile de faire la part des choses entre l’auteur et son personnage, Stress semble très autobiographique, même si on sait bien peu de choses de l’auteur de ce premier roman. Cette histoire décousue, sans logique, basée uniquement sur des ressentis et des anecdotes, semble raconter une vérité personnelle, un petit drame à l’échelle d’une ville, un deuil inachevé.
C’est un premier roman qui se lit d’une traite, comme un rêve éveillé, sans qu’aucune intrigue ne vienne franchement éclairer la lecture – c’est avant tout une ambiance, un monde à part, à découvrir. Finalement, on ne sait pas tellement pourquoi l’auteur écrit : veut-il nous faire partager son monde perdu ou cherche-t-il à comprendre comment il s’est perdu lui-même au milieu de la transformation de sa ville ?
Son surnom, Stress, c’est Nordine qui le lui a donné. C’était les années 90, dans le quartier du Panier, à Marseille, au-dessus du Vieux-Port. Il y avait aussi Ichem, Kassim, Djamel et Ange. Tous venus d’ailleurs, d’Algérie, des Comores ou du Toulon des voyous.
Sur la photo de classe, à l’époque, Stress était facilement repérable, avec sa peau rose. Et sa mère, Fred, issue d’une vieille famille aristocratique, était une figure du quartier. La caution culturelle.
Mais aujourd’hui, les pauvres ont été expulsés du Panier, les bobos rénovent les taudis et les touristes adorent arpenter ses rues tortueuses. Ses anciens potes sont devenus chauffeur de bus, agent de sécurité, dealer ou pire. Un peu artiste, un peu loser, Stress rêve, lui, de tourner un film sur son quartier d’enfance, et de leur faire rejouer leurs propres rôles de jeunes paumés, à coups de scènes colorées et d’arrêts sur image. Les descentes à la plage ou dans les boîtes de nuit, les bagarres et les parties de foot. On retrouve dans cette fresque drôle et acide le Marseille d’hier et d’aujourd’hui, ses quartiers, ses communautés. Tout est roman et tout sonne vrai, dans ce livre à l’écriture ultra-contemporaine, mixée d’arabe.
Il ne se rappelait plus son nom, à l’écrivain. L’alcool me fait ça aussi, des trous de mémoire. J’ai pensé : « Et si Nordine avait pu faire une école d’art appliqué plutôt qu’un BEP mécanique ? Qu’est-ce qu’il serait devenu ? » Je me suis levé pour commander une dernière bière, pas pour trouver la réponse, juste pour continuer à boire. Au bar, je me suis dit qu’aujourd’hui on construisait chacun dans son coin sa petite forteresse. On montait ses remparts de théories et on préparait ses bassines d’huile chaude d’arguments. On envoyait nos archers tirer nos petites phrases bien faites, répétées maintes fois dans nos têtes et on descendait notre pont-levis pour les gens qui pensaient comme nous. Il fallait que je note cette super métaphore. J’étais pas sûr de son médiéval. Et puis j’avais pas de papier. Juste des tickets de carte bleue flétris comme la peau de mon visage.
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Des questions donc en fin de lecture? Et tuas aimé ou pas ?,😉
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J’ai apprécié l’ambiance, la découverte de la ville à travers ce regard particulier, mais je trouve que le livre manque d’intrigue, le personnage principal se contente de ressasser ses déboires. Et oui, des questions donc sur l’idée d’Hadrien Bels quand il a écrit ce livre : est-ce que c’est de l’auto fiction, de l’autobiographie, ou de la fiction ? Je n’ai pas été capable de me faire un avis à la lecture.
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