
L’autre Rimbaud, c’est Frédéric, ce frère commodément oublié par les biographes et rayé des photos de famille, dont David Le Bailly tente tant bien que mal de reconstituer la vie. Qu’a-t-il fait, ou pas d’ailleurs, ce pauvre homme pour être ainsi renié par les siens, condamné à l’oubli le plus profond, alors même que c’est avec lui qu’Arthur Rimbaud a partagé ses premiers écrits, lus à haute de voix dans leur chambre commune du Quai de la Madeleine ? Inlassablement, l’auteur questionne, tente de combler les zones d’ombre en épluchant les dernières ressources documentaires disponibles, en rencontrant les derniers descendants encore en vie, frappé par leur indifférence quant au sort de leur aïeul.
Choisissant un axe plus documentaire que romanesque, David Le Bailly intercale, au milieu des morceaux de vie de la famille Rimbaud, ses propres réflexions, ses tâtonnements, ses découvertes d’enquêteur. Il nous offre ainsi un aperçu du processus de création littéraire demandé par un livre de ce type, biographie non-officielle d’un homme qui n’a rien fait pour qu’on écrive un jour sa vie, mais aussi ses idées sur ce parcours atypique, sur cette homme taiseux et soumis, sur cette fratrie décidément dysfonctionnelle. Explorant le passé et la psychologie des personnages de manière poussée, il nous offre une vision nuancée de chacun d’entre eux, évitant de réduire la mère Rimbaud à une simple marâtre, Frédéric à un simplet, Isabelle à une vieille fille aigrie, Arthur à un génie incompris. Chacun révèle une complexité unique, où plusieurs facettes de sa personnalité ou de son histoire d’affrontent, laissant les autres membres de la famille indécis parfois face à ces multiples personnages qui habitent l’un ou l’autre.
Finalement, plus que l’histoire d’Arthur et de Frédéric Rimbaud, ces deux frères que tout oppose, ce roman est également un portrait sans pitié d’une époque, celle de la fin du XIXème siècle, où ambition et enrichissement devaient être les priorités de chacun dans les classes aisées des campagnes françaises, un portrait vivace et indispensable pour comprendre le destin des frères Rimbaud. L’un, génie ingrat et imbu de sa personne, a gagné les faveurs de la mère en dédiant sa vie au négoce, faisant ainsi oublier ses frasques adolescentes, quand l’autre, honnête et gentil, s’est aliéné sa famille en essayant simplement d’être heureux à sa manière.
La photo est célèbre. C’est un premier communiant, cheveux sagement ramenés sur le côté, regard qui défie l’objectif. Il s’appelle Arthur Rimbaud. Mais sur le cliché d’origine posait aussi son frère aîné, Frédéric. Cet autre Rimbaud a été volontairement supprimé de l’image. Comme il fut « oublié » par la plupart des biographes.
Pourtant, les deux frères furent d’abord fusionnels, compagnons d’ennui dans leurs Ardennes natales. Puis leurs chemins se séparèrent. L’un a été élevé au rang de génie, tandis que l’autre, conducteur de calèche, fut banni par sa famille, effacé de la correspondance d’Arthur et dépossédé des droits sur l’oeuvre.
En quoi était-il si gênant ce frère ? Pourquoi une telle conspiration familiale ?
On croyait tout savoir du plus célèbre des poètes. Il restait encore une part d’ombre.
Je suis fils unique. Et comme beaucoup d’enfants dans mon cas, j’ai longtemps rêvé d’avoir un frère. Pour moi, un frère, c’était un meilleur copain, un cadeau que les parents faisaient aux enfants pour qu’ils ne s’ennuient pas. Une sorte de jouet, mais en mieux puisqu’il pouvait parler, courir, se bagarrer. Plus tard, à l’adolescence, je regrettais l’absence d’un frère pour tenir tête à ma mère avec qui j’étais entré en conflit. L’absence d’un confident, d’un être à protéger et sur qui m’appuyer. D’un allié, à la vie à la mort. A l’école, je jalousais les fratries, imaginant des secrets indicibles, des liens d’une force que je ne connaîtrais jamais. Je pensais : « Avec un frère, on se sent indestructible. Pas besoin de mendier des amitiés médiocres. » Avoir un frère, c’était l’assurance d’une vie plus facile, plus drôle aussi.
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