Chavirer Lola Lafon Actes Sud Rentrée littéraire 2020 The Unamed Bookshelf Thé Mariages Frères

Lola Lafon signe son grand retour en cette rentrée avec Chavirer, un déroutant roman choral sur la pédophilie, ses réseaux organisés, ses pratiques immondes, et les impacts durables que ces abus laissent sur leurs victimes, jeunes filles marquées à jamais par un moment d’horreur, embarquées malgré elles dans un engrenage où le silence est leur seule option. Parmi elles, Cléo et Betty, jeunes danseuses issues de banlieue parisienne, se font prendre au piège en essayant de décrocher une bourse pour financer leurs rêves – et voient leurs vies chavirer, à jamais.

Tout au long du récit, leurs proches nous parlent d’elles, nous racontent leur parcours semé d’embûches, leur caractère assez fantasque, leur différence notable. Pour autant, malgré les pièces du puzzle qui s’additionnent peu à peu, elles continuent à nous échapper, ces jeunes filles devenues femmes, alourdies par leur lourd secret, sacrifiées sur l’autel des fantasmes pervers de vieux libidineux. Victime devenue bourreau, Cléo tente d’apprivoiser sa culpabilité en maltraitant son corps sans merci, tandis que Betty, une fois ses rêves de gloire abandonnés, se réfugie dans un monde virtuel pour oublier les années passées sous le joug de la fondation Galatée. Un appel à témoins suffira-t-il à leur rendre leur vie ?

Ancré dans le monde fantasmé de la danse, ce récit questionne la culture du sacrifice et les violents stéréotypes qui le caractérisent et suffisent parfois à justifier tous les abus. Lola Lafon déploie dans ce roman une impeccable mécanique, nous faisant osciller sans cesse entre effroi et attendrissement, jusqu’aux larmes inévitables des derniers mots.


Résumé de l’éditeur:

1984. Cléo, treize ans, qui vit entre ses parents une existence modeste en banlieue parisienne, se voit un jour proposer d’obtenir une bourse, délivrée par une mystérieuse Fondation, pour réaliser son rêve : devenir danseuse de modern jazz. Mais c’est un piège, sexuel, monnayable, qui se referme sur elle et dans lequel elle va entraîner d’autres collégiennes.

2019. Un fichier de photos est retrouvé sur le net, la police lance un appel à témoins à celles qui ont été victimes de la Fondation.

Devenue danseuse, notamment sur les plateaux de Drucker dans les années 1990, Cléo comprend qu’un passé qui ne passe pas est revenu la chercher, et qu’il est temps d’affronter son double fardeau de victime et de coupable.

Chavirer suit les diverses étapes du destin de Cléo à travers le regard de ceux qui l’ont connue tandis que son personnage se diffracte et se recompose à l’envi, à l’image de nos identités mutantes et des mystères qui les gouvernent.

Revisitant les systèmes de prédation à l’aune de la fracture sociale et raciale, Lola Lafon propose ici une ardente méditation sur les impasses du pardon, tout en rendant hommage au monde de la variété populaire où le sourire est contractuel et les faux cils obligatoires, entre corps érotisé et corps souffrant, magie de la scène et coulisses des douleurs.


Si ce film se fait, écrit Enid à Elvire plus tard, quand elles se sont réfugiées dans leurs appartements respectifs, il ne pourra s’agir d’un portrait d’héroïne. La célébration actuelle du courage, de la force, met mal à l’aise. Ce ne sont que « femmes puissantes » qui se sont « débrouillées seules » pour « s’en sortir ». On les érige en icônes, ces femmes qui « ne se laissent pas faire », notre boulimie d’héroïsme est le propre d’une société de spectateurs rivés à leur siège, écrasés d’impuissance. Être fragile est devenu une insulte. Qu’adviendra-t-il de ces incertaines ? De celles et de ceux qui ne s’en sortent pas, ou laborieusement, sans gloire ? On finit par célébrer les mêmes valeurs que ce gouvernement que l’on conspue : la force, le pouvoir, vaincre, gagner.

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