Comme un empire dans un empire, Alice Zeniter, Flammarion, Rentrée littéraire 2020, The Unamed Bookshelf

Dans ce roman de l’engagement, Alice Zeniter explore la nécessité, de plus en plus présente chez chacun d’entre nous, de se battre pour ses idées et pour faire naître une société qui nous semble plus juste, avec les moyens dont on dispose, chacun à notre échelle. A travers deux personnages diamétralement opposés, elle nous interroge : faut-il chercher à changer le système de l’intérieur comme Antoine ou plutôt essayer de le réparer de l’extérieur, petite pierre par petite pierre, comme le fait L. avec ses actions du « dedans » ? Autour d’eux évoluent encore d’autres personnages qui ont choisi des formes d’engagement différentes : Salma avec son association Grenade(s), Xavier avec son terrain communautaire alternatif et ouvert à tous, Elias avec ses cyberattaques ciblées.

Si quelques longueurs sont à déplorer, dues au fait que l’auteure découvre, tout autant qu’elle transmet au lecteur, le monde du hacking et ses codes spécifiques, c’est pour autant un récit très immersif qu’elle nous livre, avec de nombreuses péripéties et réflexions. Alice Zeniter parvient parfaitement à illustrer la dichotomie entre la vie réelle et celle qu’on peut s’inventer sur la toile, celle des réseaux sociaux que nous connaissons tous, mais aussi celle des possibilités infinies qu’offre le « dedans » par rapport à notre vie limitée, restreinte à ce que nous sommes, du « dehors ». Ayant moi-même assidûment fréquenté les forums à une période obscure de ma vie, je connais le frisson que procure la possibilité d’être ce que nous choisissons, une fois le physique aboli et le clavier apprivoisé.

Je découvre avec ce livre la prose d’Alice Zeniter, la vie intérieure extrêmement riche de ses personnages, nourrie de nombreuses réflexions sur ce qu’ils sont, ce qu’ils devraient ou aimeraient être, leurs ambitions et leurs croyances limitantes. C’est si bien écrit et si bien décrit qu’on s’identifie, tour à tour, à chacun des deux personnages principaux, pour des raisons complètement différentes. Un excellent moment de lecture donc, qui m’a encouragée à la réflexion et a secoué mes émotions.

Résumé de l’éditeur:

Il s’appelle Antoine. Elle se fait appeler L. Il est assistant parlementaire, elle est hackeuse. Ils ont tous les deux choisi de consacrer leur vie à un engagement politique, officiellement ou clandestinement.
Le roman commence à l’hiver 2019. Antoine ne sait que faire de la défiance et même de la haine qu’il constate à l’égard des politiciens de métier et qui commence à déteindre sur lui. Dans ce climat tendu, il s’échappe en rêvant d’écrire un roman sur la guerre d’Espagne. L vient d’assister à l’arrestation de son compagnon, accusé d’avoir piraté une société de surveillance, et elle se sait observée, peut-être même menacée. Antoine et L vont se rencontrer autour d’une question : comment continuer le combat quand l’ennemi semble trop grand pour être défait ?
Dans ce grand roman de l’engagement, Alice Zeniter met en scène une génération face à un monde violent et essoufflé, une génération qui cherche, avec de modestes moyens mais une contagieuse obstination, à en redessiner les contours. L’auteure s’empare audacieusement de nos existences ultracontemporaines qu’elle transfigure en autant de romans sur ce que signifie, aujourd’hui, faire de la politique.

Internet, tu dois y penser comme à une ville qui se gentrifie. Nous, on était les premiers habitants, ceux qui pouvaient et savaient se déplacer à l’intérieur. Ensuite les riches sont arrivés et ils ont voulu que les quartiers soient sûrs. Alors les uniformes sont arrivés aussi. Pour pouvoir continuer à exister, on a occupé les égouts, les terrains vagues, les ruines. Ce n’est pas un choix, c’est parce qu’on est traqués. A partir du moment où il y a eu des cyberagents, ce qu’on faisait est devenu une cybercriminalité alors qu’avant, c’était simplement une manière d’habiter Internet et tout le monde s’en foutait. Ils ont fait le ménage à coups de procès, à coups d’amendes mais pourquoi est-ce qu’Internet obéirait aux lois de tel ou tel pays ? Internet, c’est pas un pays, c’est rien de terrestre. C’est un monde totalement différent.

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