Aussi riche que le roi Abigail Assor Editions Gallimard Premier roman Janvier 2021 The Unamed Bookshelf

Vivre à Casablanca, c’est faire partie d’une hiérarchie sociale stricte. Quand on vient du bidonville de Hay Mohammadi, impossible d’espérer un jour habiter les superbes villas d’Anfa Supérieur – Sarah le sait, mais ça ne l’empêche pas d’essayer. Quand elle rencontre Driss, ses rêves de fortune et d’élévation sociale prennent un nouveau visage, celui de ce garçon court sur pattes au nez crochu, un physique ingrat adossé à une pile de lingots d’or. Comme une sorte de Gossip Girl casablancais, Aussi riche que le roi, nous raconte l’histoire de cette jeune Française d’un pauvreté crasse, prête à tout pour s’attirer les faveurs du plus riche des riches.

Ce qui ne semble commencer que comme un simple calcul vénal de la part de Sarah se transforme pourtant petit à petit en une relation dont elle ne réalise pas tout de suite la profondeur. A l’opposé sur l’échelle sociale, Driss et elle n’en sont pas moins singulièrement similaires, marqués par les blessures douloureuses que provoque l’argent, qu’on en ait trop ou qu’on en manque. Mutiques tous les deux, ils se comprennent à travers leurs silences, jusqu’à devenir le prolongement l’un de l’autre, une seule et même personne, que l’ordre social ne saurait tolérer. Construisant son récit en flashback, Abigail Assor attise notre curiosité en nous donnant envie de croire qu’un avenir est possible pour Driss et Sarah, quand bien même nous savons, dès les premières lignes des premières pages, que ce récit ne sera pas de ceux qui se finissent sous les youyous des femmes marocaines.

Abigail Assor nous entraîne dans un voyage sensoriel épatant, nous plongeant dans le tumulte des rues de Casablanca. On se cogne contre les règles non-écrites, on sent l’odeur des joints quand la jeunesse dorée s’ennuie, on se lèche les doigts de miel après avoir pioché dans la boîte de pâtisseries Bennis un soir de Ramadan. Loin de nous servir de la romance réchauffée, Abigail Assor nous émeut par l’humanité de ses personnages, par la vivacité de ses descriptions et par l’intensité des émotions qui naissent d’une entente partagée, d’une compréhension mutuelle. Un premier roman diablement réussi et une auteure prometteuse – à suivre.


Résumé de l’éditeur:

« Il y avait l’odeur des brochettes, les gars des tables Coca-Cola qui la sifflaient : t’es belle petite, le bruit sur le terrain d’en face avec les chants du Raja, l’équipe de foot de Casa ; il y avait le vent frais de janvier, le tintement des canettes qui s’entrechoquaient, les insultes, les crachats ; et il y avait Driss, là, sur le côté. Elle le voyait, géant sur ses jambes courtes, une main tranquille sur l’épaule du flic, et l’autre fouillant sa poche pour lui glisser un petit billet de cent, sa bouche lançant quelques blagues entendues, un clin d’œil de temps en temps ; et le flic en face souriait, attrapait le billet, donnait à Driss une tape dans le dos, allez, prends une merguez, Sidi, ça me fait plaisir. Driss, le géant au milieu des pauvres, Driss le géant qu’elle venait d’embrasser, pensait Sarah ; avec son fric, il n’y aurait plus jamais de flic, plus jamais de lois — ce serait eux deux, la loi. »

Années 1990, Casablanca. Sarah n’a rien et à la sortie du lycée, elle rencontre Driss, qui a tout ; elle décide de le séduire, elle veut l’épouser. Sa course vers lui, c’est un chemin à travers Casa et ses tensions : les riches qui prennent toute la place, les joints fumés au bord de leurs piscines, les prostituées qui avortent dans des arrière-boutiques, les murmures faussement scandalisés, les petites bonnes harcelées, et l’envie d’aller ailleurs. Mais ailleurs, c’est loin.


Tout, chez Driss, c’était l’argent ; sa langue, c’était l’argent, et pourtant Sarah avait oublié l’argent – le sujet de l’argent. Il y avait longtemps qu’elle n’avait plus rêvé de sa future villa à Afna Supérieur, avec des couronnes, des diamants sur le sol. Sa grande piscine couleur de ciel, la cognac dans les verres en cristal, les domestiques à renvoyer, le mariage en caftan fait de fils d’or sur les plateaux de cuivre au son des darboukas, elle les avait oubliés. Maintenant, l’horizon, c’était la peau.
C’était ce qu’elle avait pensé après les paroles de Chirine : que son horizon, maintenant, ce n’était plus l’argent, que c’était devenu la peau, leur peau à tous les deux puisque sa peau à elle, c’était sa peau à lui et vice versa. Ça n’avait l’air de vouloir rien dire comme ça, mais lorsqu’on a marché tous les jours de sa vie avec sa seule peau à soi, sa peau à soi seule dans les rues, dans les marchés noirs de monde, les bidonvilles, le poing serré, toujours prête à courir ou à insulter et que, du jour au lendemain, on se retrouve avec une autre peau constamment à côté de soi, dans le calme d’une petite maison près de l’eau qui ondule, une peau qui ne dit rien, qui joue au 1000 bornes, qui accepte, qui n’exige pas et qui donne, alors on ne sait plus comment faire pour vivre comme avant, sous sa peau de solitude – elle ne suffit plus. On ne sait même plus faire sereinement un pas près de l’autre dans la turbulence du dehors. A force d’être là, tous les jours, silencieux à côté d’elle, Driss était devenu l’air et il était aussi le sol.

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