
Une femme, un homme, un bateau. Rien de plus simple comme intrigue, et pourtant, Carl Jonas Love Almqvist en fait un pamphlet féministe sacrément avant-gardiste. Nous sommes en 1838, la Suède est un pays conservateur où le protestantisme a une place de choix dans la vie des habitants – et ce cher auteur sort un roman faisant l’apologie de l’union libre, dénigrant les mariages malheureux où les deux parties se rendent misérables, et contestant la main mise offre aux hommes sur la vie et les biens de leurs épouses. Ce n’est pas étonnant qu’il ait suscité un tollé ! Encore aujourd’hui, quand j’ai lu certains passages, je n’ai pas pu m’empêcher d’être stupéfaite des points de vue incroyablement tranchés du personnage principal.
Sara et Albert ont beau développer de jolis sentiments amoureux pendant leur périple commun, Sara n’en reste pas moins campée sur ses positions, laissant bouche bée ce sergent plutôt ouvert d’esprit, mais absolument pas préparé à tomber sur une femme aussi émancipée ! Petit à petit, alors que le voyage s’éternise, il apprend à la connaître, il découvre ses positions sur la vie conjugale et sur l’amour, il découvre l’entrepreneure derrière la femme, qui gère d’une main de maître un commerce florissant. C’est une situation impensable pour une femme de l’époque, et nous lecteurs accompagnons ce cher Albert dans ses surprises successives.
En plus du discours ouvertement libertaire tenu par Sarah, Carl Jonas Love Almqvist instille avec ironie de nombreuses petites réflexions sur la place des femmes dans la société de l’époque, sur la rigidité entre les classes et les travers de ce cloisonnement sans queue ni tête. Ces petites pointes acerbes rendent le récit amusant et férocement politique, sur de nombreux sujets. Il est absolument incroyable qu’un homme ait eu le culot d’écrire pareil roman au beau milieu du XIXème siècle ! Je ne peux que saluer son audace, dont je me suis délectée à chaque page, et remercier les Editions Cambourakis de m’avoir fait découvrir ce récit atypique.
Tandis qu’il embarque à bord de l’Yngve Frey au départ de Stockholm, le sergent ne peut pas détourner son regard d’une jeune femme qui voyage seule à l’avant du pont. Le mystère qui entoure Sara Videbeck ne fera que s’amplifier à partir du moment où ils feront connaissance. Faisant preuve d’une indépendance rare pour l’époque, elle dirige seule la boutique de maître verrier héritée de son père et entend bien continuer à le faire, sans s’enfermer dans les liens du mariage.
À sa publication en 1838 dans une Suède protestante et conservatrice, cet éloge de l’union libre entre un homme et une femme a suscité l’indignation. Ce court roman féministe avant l’heure demeure en effet d’une étonnante actualité.
Si le ménage marche bien, on pourra continuer, comme pour toutes les choses qui marchent bien. S’il dégénère, mieux vaudra arrêter, comme pour tout ce qui se dégrade. Le plus important reste que l’amour entre deux personnes doit à tout prix être protégé, tenu à l’écart des hasards d’une cohabitation ou d’un ménage. A mon avis, on ne devrait jamais s’installer ensemble : ceux qui s’aiment sont plus enclins à s’agacer mutuellement, à se fâcher et à finalement se détruire, que ceux qui ne comptent pas l’un sur l’autre et voient les choses avec du recul. Mais si ces personnes veulent malgré tout tenter le futile plaisir de laisser deux têtes régenter les choses pratiques, alors qu’une seule est mieux à même de le faire, ils devraient avoir la sagesse d’y mettre un terme avant que leurs sentiments ne s’éteignent, comme cela risque d’arriver ; car si aucun verre n’est aussi beau que l’amour, aucun émail n’est aussi fragile. Voilà ce que j’en pense.
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Je ne l’avais pas vu passer celui-là ! Merci pour la découverte, il donne très envie 😀
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Avec plaisir !
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