
Derrière ce titre, Furies, il y a les femmes qui ont fait les révolutions arabes, celles qui les ont organisé dans l’ombre pour dessiner un autre avenir, celles qui ont continué à se battre même sans perspectives de réussite, celles qui ont été les premières victimes de l’Etat islamique – et de tous les autres régimes basés sur le fondamentalisme religieux, comme nous le rappelle douloureusement l’actualité en Afghanistan. Les histoires mêlées de Bérénice, archéologue receleuse d’antiquités obnubilée par le passé, et d’Asim, pompier syrien devenu malgré lui fossoyeur, puis faussaire, nous projettent dans une guerre sans fin dont l’Occident se garde bien de se mêler, depuis déjà plusieurs années.
Dans ce récit, plus que la guerre, image évanescente en toile de fond, c’est le devoir de mémoire et de justice que met en avant l’auteure, notamment à travers le personnage très fort de Taym, soeur d’Asim et tête de pont de l’élan révolutionnaire. « Nommer l’horreur, chiffrer un massacre, c’était déjà lutter contre l’écrasement de pensée, surmonter le fantasme et, peut-être, s’y préparer. » La nécessité de transmettre les noms et les histoires des hommes, des femmes et des enfants massacrés, torturés ou suppliciés par le gouvernement syrien puis l’Etat islamique offre à nos deux personnages, chacun égaré à sa manière, une cause à défendre, un élan à vivre. Au milieu des décombres d’une guerre qui n’en finit pas, chacun se bat pour sauver ce qu’il peut, quel qu’en soit le prix.
Julie Ruocco m’a estomaquée avec son style d’écriture haletant et acéré, lequel nous maintient tout au long du récit dans un sentiment d’urgence, dans une anxiété profonde que chaque instant soit le dernier. De la pointe de sa plume, elle gratte sous la surface des hommes pour en exhiber les tréfonds les plus obscurs et les plus inavouables, pour étaler les faiblesses qu’ils préféreraient oublier. Elle nous empoigne les tripes en nous révélant l’étendue du désastre psychologique qu’une telle guerre peut avoir sur un homme comme Asim et l’incroyable résilience qu’elle peut créer chez des guerrières comme Rokan. Elle a réussi à me toucher au coeur, et à me retourner l’estomac, tout en me charmant de ses mots bien choisis et de ses idées bien tranchées – sacré performance pour un premier roman.
Les destins d’une jeune archéologue, dévoyée en trafiquante d’antiquités, et d’un pompier syrien, devenu fossoyeur, se heurtent à l’ expérience de la guerre. Entre ce qu’elle déterre et ce qu’il ensevelit, il y a l’histoire d’un peuple qui se lève et qui a cru dans sa révolution.
Variation contemporaine des « Oresties », un premier roman au verbe poétique et puissant, qui aborde avec intelligence les désenchantements de l’histoire et « le courage des renaissances ». Un hommage salutaire aux femmes qui ont fait les révolutions arabes.
Après tout, ils étaient nés dans une arène privilégiée de l’histoire. Là où on avait décapité les rois, fait tomber les dieux du ciel, là où on avait inventé la modernité pendant une nuit de hasard entre la sueur des philosophes et les poux du bordel. Eux aussi venaient de ce peuple maudit, à la fois régicide et orphelin. Ils étaient nés de ces hommes et de ces femmes qui lavaient les empires dans le sang des révolutions, qui fouillaient les chairs à la recherche du pire et du meilleur. Civilisation éclairée, universelle, forte d’enterrer ou d’exposer la culture des autres. Peuple schizophrène, valet de l’horreur, héros des caves ou exilés du maquis. En France plus qu’ailleurs, on avait le goût de la chute, la conscience de la puissance renversée.
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Tagué:Actes Sud, Guerre, Julie Ruocco, Rentrée littéraire 2021, RL2021, Syrie
Tu confirmes mon intérêt de lecture
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J’ai adoré, moi aussi malmenée par cette lecture bouleversante…
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Ravie de voir que je ne suis pas la seule 😊
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