L'autre Molière, Eve De Castro, Editions de l'Iconoclaste, The Unamed Bookshelf, Janvier 2022

A l’heure du quatre centième anniversaire de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, nombreuses sont les parutions qui chantent ses louanges. Les Editions de l’Iconoclaste, elles, ont choisi d’honorer sa mémoire de manière pour le moins… iconoclaste, en publiant le récit d’Eve de Castro, explorant l’hypothèse selon laquelle les textes de Molière auraient été écrits par le grand tragédien de l’époque, j’ai nommé Pierre Corneille. Non, je n’avais jamais entendu parler de cette rumeur avant, et c’est bien pour cela qu’il m’était impossible de passer à côté de ce livre ! Donnant tour à tour la parole aux différents protagonistes qui ont « fait » Molière, Madeleine Béjart et sa fille Armande, Pierre Corneille et Michel Baron, ainsi qu’au comédien décédé lui-même, elle nous montre à quel point cette hypothèse est plausible.

En effet, Eve de Castro nous immerge entièrement dans le quotidien des comédiens de l’époque : les foires de province où la troupe de Molière a fait ses premières armes, la cour de Louis XIV où toute faveur peut être aussi reprise, la guerre des théâtres dans le Paris de l’époque, la solitude de celui qui polit des verres assis à sa table de travail, mais aussi cette pratique courante pour les dramaturges de vendre en sous-main leurs comédies indignes d’être associées à leur nom. Comment ne pas penser, dès lors, que Molière a eu un peu d’aide sur ses alexandrins ? Au-delà des textes, elle nous montre l’influence de son entourage sur l’homme qu’il était et la légende qu’il est devenu. Baptiste serait-il devenu Molière sans Madeleine Béjart ?

Si j’ai apprécié cette plongée dans le siècle du Roi Soleil et la plume de l’autrice qui parvient avec brio à adopter le style de l’époque pour donner vie à ses personnages, j’ai eu quelques difficultés à aller au bout du récit, ne voyant pas tellement où elle voulait en venir. Sachant dès le début quel était son parti pris, j’ai passé une bonne partie de ma lecture à me demander quelle serait la chute de cette histoire, où l’alternance des voix m’a semblé créer des longueurs et des répétitions. Finalement, je pense qu’il vaut mieux lire ce livre sans savoir la thèse qu’il illustre, histoire de garder un peu de suspense.


Résumé de l’éditeur:

Dans la nuit du 21 février 1673, une foule en larmes enterre Molière au cimetière Saint-Joseph. Alors qu’il est mort en pleine activité, l’inventaire de son cabinet de travail ne mentionne aucun manuscrit. Ce mystère n’a jamais été élucidé. En 1919, Pierre Louÿs est le premier à affirmer qu’un accord d’écriture aurait été passé entre Corneille et Molière, et que le tragédien serait l’auteur secret des grandes pièces du comédien. La controverse s’enflamme. Depuis cent ans, elle déchaîne les passions.
Ève de Castro nous plonge au cœur de cette énigme par la voie romanesque, avec des détails que les biographies officielles passent sous silence. Qui sait que Molière, génial acteur, n’avait rien d’un intellectuel, qu’il n’a techniquement pu écrire sans aide ? Que le tragédien Corneille a commencé sa carrière avec sept comédies, qu’il avait un humour féroce, qu’il était épris d’Armande Béjart, l’épouse de Molière ?
Ève de Castro choisit une construction chorale où, tour à tour, chaque protagoniste vient raconter son point de vue. Par petites touches le mystère se creuse. On imagine l’époque, on revit le quotidien des deux hommes, leur passion commune pour le théâtre, pour le Roi, et pour la jeune Armande Béjart.


Je n’ai pas eu besoin de hanter les tavernes, de courir les bordels, de sillonner les provinces, de voyager outre-mer, d’étriper des ennemis, de me battre en duel, d’enlever des femmes, de pratiquer les péchés capitaux en plus des véniels. J’ai vécu et vis encore des aventures exaltantes sans quitter mon fauteuil. Tout ce qu’un homme peut connaître et ressentir, je l’ai connu, je l’ai ressenti sans bouger de cette pièce ou d’une autre qui lui ressemblait. Et comme nos paysans distillent grains et fruits pour en tirer l’eau-de-vie, je l’ai transmuté. En beauté chimiquement pure. Je suis un magicien. Avec le sel et la ferraille du temps, la misère et la grandeur de l’âme humaine, je fabrique l’immortalité. Je trempe ma plume dans mon encrier et le monde renaît.

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