
Être née dans la fange nous condamne-t-il à y rester toute notre vie ? Malgré sa rage contre le monde entier et son peu d’espoir pour sa propre destinée, Veena veut croire qu’un avenir meilleur attend sa fille, Chinti, la petite « fourmi ». Lorsqu’un prêtre véreux la lui enlève pour la faire soi-disant diviniser dans son sanctuaire, le sang de Veena ne fait qu’un tour : réunissant les femmes de la Ruelle, prostituées et hijras, toutes plus attachées les unes que les autres à la petite, elle se lance à ses trousses pour la récupérer.
Véritable plongée dans les bas-fonds de la société indienne, Le rire des déesses explore la vie de ceux que la société a rejeté, dont l’existence se limite à une rue, d’un côté celles qui vendent leur corps pour survivre, de l’autre celles qui ont renoncé à une partie de leur corps pour devenir ce qu’elles sont, incomprises et pourtant mystiques. Comment grandir là-dedans, une fente dans le mur pour tout horizon, les cris des coïts pour toute bande-son, les fleurs des marchands ambulants comme seule joie ? Et pourtant, de ce contexte délétère émerge une jolie petite fille, innocente malgré tout, ramenant le sourire dans les cœurs de celles qui n’y ont pas le droit.
C’est un roman incroyablement sensible et poétique que celui-ci, un roman sur l’amour filial et des différentes formes, un roman sur l’espoir qui subsiste même quand tout semble perdu, un roman sur les femmes et leurs différents visages, leur force et leur résilience face à l’adversité. Ananda Devi nous ouvre une porte sur une Inde méconnue, où la crédulité des hommes permet l’impunité de quelques uns – au détriment de celles qui sont ici nos héroïnes, les femmes et les hijras.
Au Nord de l’Inde, dans une ville pauvre de l’Uttar Pradesh, se trouve La Ruelle où travaillent les prostituées. Y vivent Gowri, Kavita, Bholi, ainsi que Veena, et Chinti, sa fille de dix ans. Si Veena ne parvient pas à l’aimer, les femmes du quartier l’ont prise sous leur aile, surtout Sadhana. Elle ne se prostitue pas et habite à l’écart, dans une maison qu’occupent les hijras, ces femmes que la société craint et rejette parce qu’elles sont nées dans des corps d’hommes. Ayant changé de sexe et devenue Guru dans sa communauté, Sadhana veille sur Chinti.
Leurs destins se renversent le jour où l’un des clients de Veena, Shivnath, un swami, un homme de Dieu qui dans son temple aime se faire aduler, tombe amoureux de Chinti et la kidnappe. Persuadé d’avoir trouvé la fille de Kali capable de le rendre divin, il l’emmène en pèlerinage à Bénarès. Comment se douterait-il que sur ses pas, deux représentantes des castes les plus basses, une pute et une hijra, Veena et Sadhana, sont parties pour retrouver Chinti, et le tuer ?
Des bas-fonds de l’Inde où les couleurs des saris trempent dans la misère à sa capitale spirituelle, Ananda Devi nous entraîne dans un roman haletant et riche pour fouiller, à sa manière, les questions brûlantes de notre époque : la place des femmes et des transsexuels, le règne des hommes et la sororité ; les folies de la foi, la pédophilie ; la religion, la colère et l’amour. Avec son style incisif et poétique, elle brise le silence des dieux pour faire entendre et résonner le cri de guerre des femmes – le rire des déesses.
Imaginez un seul instant que cette déesse toute-puissante se manifeste à chaque fois que les femmes sont abusées des mille façons inventées dans ce pays d’excès et de dérives, dans ce pays où l’homme est la seule vraie religion et les femmes ses adoratrices subjuguées ! Il suffit qu’une femme soit seule sur un chemin mal éclairé, un soir, pour qu’elle ne soit plus qu’un corps offert. Ministre, femme d’affaires, médecin, enseignante, millionnaire ou villageoise intouchable, peu importe ce que tu es : la nuit, toutes les femmes sont chair. Corps offert en pâture. Hélas ! la religion a beau placer les femmes près des hommes, Shakti aux côtés de Shiva, Lakshmi aux côtés de Vishnou, parler de l’équilibre cosmique du yoni et du lingam, toutes ces conneries, à la fin, ne veulent rien dire, car c’est le lingam, le phallus de Shiva, sa puissance créatrice, le grand procréateur de l’univers, qui règne en maître absolu des destinées.
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Tagué:Coup de coeur, Editions Grasset, Femmes, Inde, Transsexualité
Une très belle écriture !
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