
Qu’est-ce qui pousse une femme, mère de deux enfants, autrice de talent, à se donner la mort ? C’est ce qu’explore ici Elin Cullhed en retraçant, de manière romancée, la dernière année de Sylvia Plath. Dans ce récit en dents de scie, et aux accents criants de vérité, on voit Sylvia passer d’un état à l’autre, de la plus grande euphorie à la plus sombre détresse. Incapable de se contenter de son rôle de mère et d’épouse, de se rallier au rêve bourgeois de la maison de famille à la campagne qu’elle pensait appeler de ses voeux et de supporter l’incompréhension de son mari autocentré, elle se délite à petit feu, jusqu’à la goutte d’eau qui fait déborder le vase : l’infidélité de son mari, Ted.
Après Pourquoi pas la vie, j’avais envie d’en savoir plus sur Sylvia Plath, d’entrer entre plus profondément dans ses pensées et ses réflexions. Avec Euphorie, j’ai été servie : Elin Cullhed parvient admirablement bien à pénétrer le personnage de Sylvia Plath, à exposer ses tourments dans toute leur complexité et leurs incohérences, à révéler toute l’humanité de cette femme écartelée entre son rôle social et familial et sa volonté d’écrire, plus forte que tout. A travers les mots d’Elin Cullhed, de nombreux traumatismes se révèlent : ceux de l’enfance, avec cette mère désenchantées aux espoirs trop grands pour sa fille, ceux du patriarcat, qui réduit les femmes à leur fonction reproductrice et les confine au foyer malgré elles, ceux de la société, qui nous amène à suivre un chemin tout tracer qui nous ne convient pas mais satisfait ceux qui nous regardent de loin.
Je craignais que ce livre ne soit déprimant – après tout, on parle des derniers instants d’une femme qui s’est donné la mort. Mais ça n’a pas du tout été le cas, même plutôt l’inverse. Dans ce récit, Sylvia Plath explore tout ce qui la contraint, à l’intérieur et à l’extérieur d’elle-même, et tente, parfois maladroitement, mais finalement avec succès, de se libérer de toutes ces choses, personnes, mécanismes, normes, attentes. C’est un roman sur la vulnérabilité, sur les femmes d’hier et d’aujourd’hui, sur ce qui nous écrase et ce qui nous rend fortes. C’est un récit intemporel qui m’a personnellement beaucoup parlé et qui restera gravé un long moment dans ma mémoire.
À l’aube des années 1960, la jeune Sylvia fait déjà parler d’elle : poète admirée de ses contemporains, elle forme avec Ted le couple d’écrivains en vogue. Après une période difficile en hôpital psychiatrique, Sylvia aspire au bonheur et c’est dans la famille qu’elle le trouvera, affirme-t-elle : c’est elle qui insiste pour quitter Londres et s’installer à la campagne, la petite Frieda à son bras et Nicholas dans le ventre. Mais dans cet havre de paix, rien ne se passe comme elle l’avait prévu : accaparée par les tâches du quotidien, la pression familiale et ses propres obsessions, la jeune femme n’a plus le temps d’écrire. Et à mesure que la vie de Ted, de plus en plus demandé à Londres par ses éditeurs et ses maîtresses, prend un nouvel essor, celle de Sylvia se délite irrémédiablement…
Elin Cullhed imagine la dernière année de Sylvia Plath et épouse son style foudroyant, la noirceur lumineuse de la vie de l’écrivaine. Une œuvre monumentale qui se fait le témoin d’un destin hautement symbolique : la « folie » de Plath n’est-elle pas, tout compte fait, celle du monde et de ses contradictions ?
Je regardais les petits grains emportés par le vent retomber bêtement sur le sol. Une activité d’une simplicité débile, et si peu intellectuelle. J’avais mal de devoir faire quoi que ce soit. Je n’aimais pas ça. Faire, ça consistait à terminer une chose avant de passer à la suivante, c’était lâcher prise et cesser de rêver qu’on faisait ceci ou cela. Faire n’avait aucune perfection, je préférais rester dans le rêve, c’était une vraie tare chez moi, mais répandre la farine d’os sur les bulbes avec ma fille et mon mari avait été tellement plus amusant dans le rêve. J’avais visualisé la scène… Elle s’y associait à une émotion puissante… Où était cette émotion à présent ? Pour moi, la réalité était simplement laide, et cela me déchirait de honte de ressentir les choses ainsi. Ingrate ! Les mots de ma mère résonnaient en moi. Tu n’es qu’une enfant gâtée !
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