
Fille de picture bride, Hannah a grandi dans l’indifférence de sa mère et les histoires fantasques de son père. Canadienne de naissance, elle porte sur elle ses origines japonaises et comprend bien vite que ses traits la condamnent à être traitée comme une citoyenne de seconde zone. Interdits de vote, les serviables japonais sont une main d’oeuvre bon marché pour ce pays occidental, jusqu’au jour où ils deviennent carrément des boucs émissaires. Loin de tout ce tumulte, Jack compte des saumons dans sa forêt, englué dans son existence solitaire, ressassant ses vieux démons – jusqu’à ce que son chemin croise celui d’Hannah…
Etonnante découverte que ce morceau d’histoire canadienne, cette immigration japonaise massive suivie de mariages à l’aveugle avec des jeunes femmes venues tout droit des îles nippones, ignorant tout de la réalité qu’elles devront affronter une fois sur place. Je savais que les immigrés japonais d’Amérique du Nord avaient été persécutés pendant la Seconde Guerre Mondiale, mais j’ignorais que le phénomène avait pris une telle ampleur et était allé jusqu’à de telles extrémités. On ressent ici parfaitement, grâce à la superbe plume de Marie Charrel, toute la détresse de cette jeune femme qui subit persécution sur persécution, ne pouvant que constater à quel point les siens sont inoffensifs, se laissant embarquer, parquer, maltraiter sans dire un mot.
Souvent éclipsé par son voisin tapageur, le Canada est un pays que je retrouve peu dans mes lectures et il était très intéressant de le découvrir un peu plus, à travers un moment trouble de son histoire, mais aussi ses paysages sauvages et merveilleux. Les descriptions majestueuses des forêts de Colombie-Britannique sont un véritable régal, une bouffée d’air frais dans ce récit où les hommes sont le plus souvent injustes et destructeurs, surtout envers ceux qui ne leur ressemblent pas, qu’ils soient Japonais ou autochtones. On comprend cette tendance de nos personnages meurtris à se réfugier au coeur de cette nature bienfaisante, dont les pouvoirs dépassent parfois l’entendement. Marie Charrel explore magnifiquement bien les étranges liens qui se nouent entre les hommes et la nature, entre certaines personnes malgré leurs différences et pour peu qu’ils s’ouvrent l’un à l’autre. Après les difficultés et les obstacles, c’est l’attention à l’autre et au monde qui leur permet de sauver ce qu’il reste de leur humanité meurtrie.
Hannah est une Nisei, une fille d’immigrés japonais. Si son père l’a bercée de contes nippons, elle se sent avant tout canadienne ; alors pourquoi les autres enfants la traitent-ils de « sale jaune » ? Jack, lui, est un creekwalker, il veille sur la forêt et se réfugie dans les légendes autochtones depuis le départ de son frère à la guerre. Le jour où l’ermite tombe nez à nez avec un ours blanc au cœur de la Colombie-Britannique, il croit rêver – la créature n’existe que dans les mythes anciens. Pourtant, la jeune femme inconsciente qu’il recueille semble prouver le contraire : marquée des griffes de la bête, Hannah développe d’étranges dons à son réveil.
Des années 1920 à l’après-guerre, Marie Charrel brosse le portrait d’une Amérique du Nord où la magie sylvestre s’enchevêtre à la fresque historique. Contes japonais et légendes indigènes se lient dans une fabuleuse ode à la nature et à la fraternité.
Il est des secrets enfouis si loin, depuis si longtemps, qu’on les imagine oubliés à jamais. Ce sont les plus dangereux. Ils jaillissent dans la douceur d’une matinée d’automne, lorsque les enfants dorment encore dans leurs draps chauds. Ils fracassent les murailles de papier patiemment échafaudées autour de soi, en soi, dans l’espoir de s’épargner la douleur. En vain, Personne n’échappe à la vie.
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