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Ma théorie est que l’espoir est une forme de folie. Une folie bénigne, certes, mais une folie tout de même. En tant que superstition irrationnelle, miroirs brisés et compagnie, l’espoir ne se fonde sur aucune espèce de logique, ce n’est qu’un optimisme débridé dont le seul fondement est la foi en des phénomènes qui échappent à notre contrôle.

Le Complexe d’Eden Bellwether, Benjamin Wood

Sais-tu ce que c’est que ce supplice que vous font subir, durant les longues nuits, vos artères qui bouillonnent, votre cœur qui crève, votre tête qui rompt, vos dent qui mordent vos mains; tourmenteurs acharnés qui vous retournent sans relâche, comme sur un grill ardent, sur une pensée d’amour, de jalousie et de désespoir !

Notre-Dame de Paris, Victor Hugo

Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on développe chez eux, à l’exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. A cette servitude de l’esprit, ou de l’imagination humaine, je préfère encore notre esclavage de fait.

Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar

Et en dehors de l’entreprise, qu’est-ce qui attendait les comptables au cerveau rincé par les nombres? La bière obligatoire avec des collègues aussi trépanés qu’eux, des heures de métro bondé, une épouse déjà endormie, des enfants déjà lassés, le sommeil qui vous aspire comme un lavabo qui se vide, les rares vacances dont personne ne connait le mode d’emploi : rien qui mérite le nom de vie.
Le pire, c’est de penser qu’à l’échelle mondiale ces gens sont des privilégiés.

Stupeur et tremblements, Amélie Nothomb

Beaucoup de gens peuvent vivre toute leur vie sans être effleurés par ces questions- ou s’ils le sont, c’est très fugitivement, et ils n’ont pas de mal à passer outre. Ils fabriquent et conduisent des voitures, font l’amour, discutent près de la machine à café, s’énervent parce qu’il y a trop d’étrangers en France, ou trop de gens qui pensent qu’il y a trop d’étrangers en France, préparent leurs vacances, se font du souci pour leurs enfants, veulent changer le monde, avoir du succès, quand ils en ont redoutent de le perdre, font la guerre, savent qu’ils vont mourir mais y pensent le moins possible, et tout cela, ma foi, est bien assez pour remplir une vie.

Le Royaume, Emmanuel Carrère

Et nous voilà franchissant les roches noirâtres, au milieu d’éboulements imprévus, et sur des pierres que la glace rendait fort glissantes. Plus d’une fois, je roulai au détriment de mes reins. Conseil, plus prudent ou plus solide, ne bronchait guère, et me relevait, disant :
« Si monsieur voulait avoir la bonté d’écarter les jambes, monsieur conserverait mieux son équilibre. »

Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne

J’ai pas honte d’être arabe au contraire, mais Mohammed en France, ça fait balayeur ou main-d’oeuvre. Ça veut pas dire la même chose qu’un Algérien. Et puis Mohammed ça fait con. C’est comme si on disait Jésus-Christ en France, ça fait rigoler tout le monde.

La vie devant soi, Romain Gary (Emile Ajar)

Une impression de déjà-vu. Il paraît que les neurologues l’expliquent très bien, il y a des synapses, ou quel que soit leur nom, des connexions cérébrales qui merdouillent soudain et nous convainquent que tel ou tel décor, dialogue, se présente dans notre vie pour la seconde fois.

L’Excuse, Julie Wolkenstein

la noblesse était un attribut du nom, du renom et de la lignée, ce n’était pas une caractéristique individuelle garantie. C’était plus que d’hériter d’un nez droit ou d’une fortune matérielle, la noblesse était dans l’âme avant d’être dans le sang et dans la terre.

Karpathia, Mathias Menegoz

Marcher, marcher droit devant moi, sans m’arrêter, sans me reposer, et surtout sans jamais revenir en arrière. Telle sera la règle de ma nouvelle vie: aller droit devant moi, là où me portent mes pas, sans retour ni regret.

Un roman russe, Emmanuel Carrère

Sa soeur appartient au cercle des sceptiques, de ceux qui voient le monde en noir, en gris, ceux qui répondent non avant de penser oui. Ceux qui remarquent toujours le détail qui fâche au milieu du paysage, la tâche minuscule sur la nappe, ceux qui explorent la surface de la vie à la recherche d’une aspérité à gratter, comme s’ils se réjouissaient de ces fausses notes du monde, qu’ils en faisaient leur raison d’être. Elle est une image inversée de Giulia, une version d’elle en négatif, au sens photographique du terme : sa lumière est inversement proportionnelle à la sienne.

La tresse, Laetitia Colombani

Pour chacun de nous, un évènement peut se transformer en traumatisme s’il entre en écho avec un pan douloureux de notre histoire personnelle.

Rudik, l’autre Noureev, Philippe Grimbert

La magie envoûtante de l’imagination était périlleuse pour celui qui se devait de vivre dans le monde réaliste, et pour les êtres condamnés au silence, les mots pouvaient se transformer en poison.

La Bâtarde d’Istanbul, Elif Shafak

pourquoi ai-je le malheur de toujours anticiper le manque, gâchant systématiquement nos derniers moments ensemble, pourquoi cette hantise de ne jamais le revoir, qui me pousse à laisser traîner le plus longtemps possible les traces de sa présence, à ne pas ranger le peignoir qu’il porte ici, ni le livre qu’il y a lu?

Adèle et moi, Julie Wolkenstein

Ça devait être bien pratique, quand même, cette croyance en Dieu: quand on ne pouvait plus rien pour les autres – et c’était souvent le cas dans la vie, c’était au fond presque toujours le cas, et particulièrement en ce qui concernait le cancer de son père – demeurait la ressource de prier pour eux.

La carte et le territoire, Michel Houellebecq

L’écrit pour moi n’avait qu’une fonction nécessaire d’enregistrement et de cumul des connaissances, en rien l’impact d’une expérience vécue. Puis je suis tombé sur ces blocs gravés, ces chocs : « Ne pas gaspiller dans l’unique souci de manger tout de suite notre simple force d’avoir faim. » ; « La maturité de l’homme est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. » Et bien sûr celle qui suggère de vivre chaque instant comme si c’était à la fois le dernier et le premier instant de sa vie.

La Horde du Contrevent, Alain Damasio

Pas une virgule de l’Histoire n’aura été écrite par moi, mon existence n’aura rien ajouté ou changé au destin du monde. Mes traces sont dérisoires. Les « idées inexprimables et vaporeuses » qui ont traversé ma jeunesse n’ont rien produit. Tout sera vite oublié.
Mais ce monde je l’aurais beaucoup regardé.

La Triomphante, Teresa Cremisi

A une époque, je me croyais de taille à réaliser de grandes choses, à livrer des batailles épiques, à défendre des idéaux. J’allais devenir écrivain et militante des droits de l’homme. Je voyagerais par le monde pour voler au secours des opprimés, des victimes. J.B. Ono- le célèbre auteur de romans où personne ne se laisse piéger par l’amour. J’avais souhaité être au centre du monde. J’ai fini par accepter de n’être qu’un des nombreux personnages d’une histoire, et encore, pas un des principaux.

Crime d’honneur, Elif Shafak

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