Hiver à Sokcho Elisa Shua Dusapin Folio Livres The Unamed Bookshelf

Sokcho est triste l’hiver, les touristes désertent la station balnéaire, les locaux sont transis pas le froid venus de la mer. Alors quand arrive un Français, dessinateur de bandes dessinées, la petite pension du vieux Park s’anime – surtout sa jeune employée, restée à Sokcho pour prendre soin de sa mère. Au détour des couloirs et des corvées, tous deux apprennent à se connaître, chacun emmuré dans sa timidité et ses pensées intimes. Ils sont tous les deux à la croisées des chemins, elle devant le reste de sa vie, lui devant la fin de son oeuvre principale – et dans cet entre-deux, ils se rencontrent, sans vraiment s’apprivoiser.

Je n’étais encore jamais allée en Corée du Sud – c’est la réflexion que je me suis faite en refermant ce roman. J’ai vraiment eu la sensation d’y être, par tous les sens possibles – la gifle des embruns sur mon visage, la caresse d’une joue sur ma cuisse, l’odeur rance du poisson sur mes vêtements, la laine rêche d’une robe pull, le goût du fugu et du tteok dans ma bouche. Incroyable comme cette auteure franco-coréenne est parvenue à recréer tout une culture en moins de vingt pages, simplement en racontant avec sobriété la vie quotidienne d’une jeune femme de Sokcho. On s’y croirait !

Tout en recréant l’environnement caractéristique de la ville, Elisa Shua Dusapin nous plonge dans une atmosphère langoureuse, hors du temps, où les hommes et les femmes se croisent sans jamais se heurter, où les mots restent coincés dans les gorges et où l’inspiration reste suspendue longtemps avant qu’un artiste ne puisse s’en saisir. Tout est suggéré, rien n’est vraiment dit, l’économie de mots poussée à l’extrême laisse au lecteur le loisir de qualifier lui-même le récit. Romantique ? Désespéré ? Paradoxal ? Tout est possible finalement, j’imagine que chacun d’entre nous appréciera ce livre à sa manière. C’est en tout cas un récit emprunt d’une grande sensibilité, sublimant la culture coréenne et illustrant parfaitement les qualités et vertus du silence et de la solitude partagés.


Résumé de l’éditeur:

«Il avait griffonné un buste de femme cambrée, seins nus, pieds à demi cachés par la courbe d’une fesse. La respiration de Kerrand s’est accélérée au rythme de son coup de plume. Il a fait couler toute l’encre du pot, la femme a titubé, cherché à crier encore, mais le noir s’est glissé entre ses lèvres jusqu’à ce qu’elle disparaisse.»

À Sokcho, petite ville portuaire proche de la Corée du Nord, une jeune femme rêve d’ailleurs dans une pension modeste. Chaque jour, elle cuisine pour les rares visiteurs venus s’isoler du monde. L’arrivée d’un Français, auteur de bandes-dessinées, vient rompre la monotonie de l’hiver. Ils s’observent, se frôlent, et à mesure que l’encre coule, un lien fragile naît entre ces deux êtres aux cultures si différentes, en quête d’absolu.


Les hommes se préparaient à la pêche aux calamars. Ils s’attardaient à la baraque à soupe, ajustaient leur ciré, que le vent ne puisse s’engouffrer par le ventre ou par le cou, avant de se rendre à l’embarcadère, de monter sur les vingt-quatre bateaux pour allumer les ampoules des câbles tendus de la poupe jusqu’à la proue, elles appâteraient les mollusques loin de la côte. Les bouches ne parlaient pas, les mains s’activaient, aveugles, dans le brouillard. Je marchais jusqu’à la pagode au bout de la jetée, dans les relents du large qui faisaient la peau grasse, posaient du sel sur les joues, et sur la langue un goût de fer, et bientôt les milliers de lanternes se mettaient à briller, alors les pêcheurs libéraient les amarres, et leurs pièges de lumière partaient vers le large, procession lente et fière, la Voie lactée de la mer.

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