Maudits dès l’origine de leur lignée, les Scorta n’en sont pas moins fiers de leurs racines et de leur nom, qui se transmet ou se gagne, sous condition de toujours faire passer la famille avant tout le reste. Originaires des Pouilles, ils vivent sous un soleil de plomb et tentent de faire fortune sur la misère qu’à laissé le premier des Scorta, pourtant plein aux as d’un argent gorgé de sang. Un seul honneur leur est dû : des funérailles de roi, pour couronner leur vie de misère. Malgré les secrets, les trajectoires de vies différentes, et les disparitions successives, les Scorta font front commun, de la vie à la mort, défendant l’honneur de leur famille et la fierté associée à leur nom.
Dès les premières pages, c’est l’immersion totale : chaleur du soleil, souffle du vent dans les oliviers, brûlure des pierres exposés aux rayons impitoyables. En quelques lignes, Laurent Gaudé nous emmène dans les Pouilles, avec si peu de mots que c’en est admirable. Le roman s’ouvre sur la malédiction des Scorta, sur ce retour inopiné du brigand qui démarre la lignée sur une erreur d’appréciation, sur un fantasme qui n’est plus. Aucun retour en arrière possible, on est directement happés par cette histoire de gens simples et pourtant admirables, luttant pour faire quelque chose de leur vie, à la sueur de leur front.
Le Soleil des Scorta est un livre admirable sur les vertus du travail et l’importance de la famille, sur ce qu’on fait pour les siens et qu’ils ne nous rendent pas toujours, sur le fait d’assumer ce qu’on est et d’en faire une force, qui que l’on soit et d’où qu’on vienne. Impossible à lâcher une fois commencé, c’est un récit d’une grande puissance qui n’a clairement pas volé son Prix Goncourt selon moi.
L’origine de leur lignée condamne les Scorta à l’opprobre. A Montepuccio, leur petit village d’Italie du Sud, ils vivent pauvrement, et ne mourront pas riches. Mais ils ont fait vœu de se transmettre, de génération en génération, le peu que la vie leur laisserait en héritage. Et en dehors du modeste bureau de tabac familial, créé avec ce qu’ils appellent « l’argent de New York », leur richesse est aussi immatérielle qu’une expérience, un souvenir, une parcelle de sagesse, une étincelle de joie. Ou encore un secret. Comme celui que la vieille Carmela confie au curé de Montepuccio, par crainte que les mots ne viennent très vite à lui manquer. Roman solaire, profondément humaniste, le livre de Laurent Gaudé met en scène, de 1870 à nos jours, l’existence de cette famille des Pouilles à laquelle chaque génération, chaque individualité, tente d’apporter, au gré de son propre destin, la fierté d’être un Scorta, et la révélation du bonheur.
« Nous n’avons été ni meilleurs ni pires que les autres, Elia. Nous avons essayé. C’est tout. De toutes nos forces, nous avons essayé. Chaque génération essaie. Construire quelque chose. Consolider ce que l’on possède. Ou l’agrandir. Prendre soin des siens. Chacun essaie de faire au mieux. Il n’y a rien à faire d’autre que d’essayer. Mais il ne faut rien attendre de la fin de la course. Tu sais ce qu’il y a, à la fin de la course ? La vieillesse. Rien d’autre. Alors écoute, Elia, écoute ton vieil oncle Faelucc’ qui ne sait rien de rien et n’a pas fait d’études. Il faut profiter de sueur. C’est ce que je dis, moi. Car ce sont les plus beaux moments de la vie. Quand tu te bats pour quelque chose, quand tu travailles jour et nuit comme un damné et que tu n’as plus le temps de voir ta femme et tes enfants, quand tu sues pour construire ce que tu désires, tu vis les plus beaux moments de ta vie. Crois-moi. Rien ne valait pour ta mère, tes oncles et moi les années où nous n’avions rien, pas un sou en poche, et où nous nous sommes battus pour le bureau de tabac. C’était des années dures. Mais pour chacun d’entre nous, ce furent les plus beaux instants de notre vie. Tout à construire et un appétit de lion. Il faut profiter de la sueur, Elia. Souviens-toi de cela. Après, tout finit si vite, crois-moi. »
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