Nous nous sommes déjà tous demandés ce qu’aurait été notre vie si les circonstances avaient été différentes, si les événements que nous avions vécus n’étaient pas arrivés, si nous avions fait d’autres choix aux moments-clés de notre existence. Imaginez pouvoir explorer ces différents possibles, pouvoir regarder ce que vous aurait réservé le destin si telle ou telle variable avait été changée. C’est exactement l’exercice auquel se livre ici Paul Auster en racontant quatre versions différentes de la vie de son personnage, Archibald Ferguson. Les différentes versions vont partir dans des sens différents, selon que son père reste en vie ou pas, selon que le magasin familial brûle ou soit cambriolé ou reste intact, et selon la ville d’ancrage qu’auront choisi ses parents au moment de leur installation. Si les protagonistes restent sensiblement les mêmes, leur rôle dans le destin de Ferguson va varier largement, selon la place qu’ils vont occuper dans sa vie, amenant cette vie à changer sensiblement d’une version à l’autre.

Il est certain que certaines version de Ferguson sont plus aventureuses que d’autres, mais globalement, Paul Auster nous raconte sur plus de 1 200 pages la vie quotidienne d’un jeune garçon devenu adolescent puis adulte, faite de rebondissements plus ou moins tragiques et plus ou moins farfelus. Il est fascinant de voir comme chaque instant d’une vie somme toute normale peut être romancé jusqu’au plus petit détail, comme le quotidien peut devenir une grande aventure sous la plume d’un auteur de grand talent. Même s’il y a quelques longueurs, je ne me suis vraiment pas ennuyée dans ce long récit, suivant avec intérêt les circonvolutions des différentes vies de Ferguson, recroisant avec joie quelques personnages qui sautent habilement d’une version à l’autre alors qu’on ne les attend pas.

Je ne peux que saluer le génie de cet auteur qui a réussi à garder la cohérence de son personnage sur tant de pages, et sur tant de versions de son histoire. Chaque événement affecte d’une manière ou d’une autre le Ferguson que nous avons devant nous au moment où il arrive, et il est fascinant de voir que les autres versions du personnages évoluent différemment quand elles n’ont pas connu telle ou telle mésaventure. C’est sensiblement la même personne – féru de sport et de littérature, très lié à sa mère, en quête d’un épanouissement amoureux et sexuel -, pour autant, sa personnalité s’infléchit légèrement en fonction de son histoire. J’ai rarement vu un personnage aussi réussi, aussi bien traité et approfondi, et rarement autant réfléchi sur l’impact de nos vies sur ce que nous sommes. C’est magistral !


Résumé de l’éditeur:

À en croire la légende familiale, le grand-père nommé Isaac Reznikoff quitta un jour à pied sa ville natale de Minsk avec cent roubles cousus dans la doublure de sa veste, passa Varsovie puis Berlin, atteignit Hambourg et s’embarqua sur l’«Impératrice» «de Chine». C’est à son bord qu’il franchit l’Atlantique en essuyant plusieurs tempêtes, puis débarqua dans le port de New York au tout premier jour du XXe siècle. À Ellis Island, par une de ces bifurcations du destin chères à l’auteur, le nouvel arrivant fut rebaptisé Ferguson. Dès lors, en quatre variations biographiques qui se conjuguent, Paul Auster décline les parcours des quatre possibilités du petit-fils de l’immigrant. Quatre trajectoires pour un seul personnage, quatre répliques de Ferguson qui traversent d’un même mouvement l’histoire américaine des fifties et des sixties. Quatre contemporains de Paul Auster lui-même, dont le “maître de Brooklyn” arpente les existences avec l’irrésistible plaisir de raconter qui fait de lui l’un des plus fameux romanciers de notre temps.


Le temps se déplaçait dans deux directions parce que chaque pas dans l’avenir emportait avec lui un souvenir du passé, et même si Ferguson n’avait pas encore quinze ans, il avait déjà assez de souvenirs pour savoir que le monde qui l’entourait était façonné par celui qu’il portait en lui, tout comme l’expérience que chacun avait du monde était façonnée par des souvenirs personnels, et si tous les gens étaient liés par l’espace commun qu’ils partagaient, leurs voyages à travers le temps étaient tous différents, ce qui signifiait que chacun vivait dans un monde légèrement différent de celui des autres.

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