la disparition de josef mengele - olivier guez - grasset - prix renaudot 2017 - rentrée littéraire

🏆Prix Renaudot 2017

Josef Menegele, l’ange de la mort d’Auschwitz, n’a jamais été traduit devant un tribunal pour ses crimes contre l’humanité. Au camp, il condamnait des trains entiers de déportés en les envoyant directement à la chambre à gaz. En tant que médecin spécialisé dans la pureté de la race, il menait des expérimentations terribles (fécondation forcée de jumeaux, sevrage total d’un nourrisson pour voir combien de temps il survivrait, etc.). La guerre finie, Mengele part en cavale, il se cache, d’abord dans une ferme en Allemagne avant de gagner l’Argentine. Là-bas, il se tisse un réseau d’anciens nazis et autres fascistes rassurés par les grandes idées de Peron. Ses amis sont avant définis par le nombre d’innocents qu’ils ont envoyé à la mort, le plus assidu est considéré comme le meilleur soldat, le plus fidèle à leurs idées. Mengele s’installe, divorce, se remarie avec sa belle-soeur, profite des moyens financiers pharamineux de sa famille pour s’acheter une grande maison. Jusqu’à ce que sa tête soit mise à prix pour de bon. Il se réfugie au Paraguay, puis au Brésil, terrifié à l’idée d’être enlevé par le Mossad, comme Eichmann. Jusqu’à sa mort, Mengele refuse de faire face à la justice. Seul, abandonné de tous et malade, il continue de justifier ses crimes comme un devoir à sa patrie. Jusqu’au bout, il aura refusé d’admettre qu’il était un bourreau.

Cette vie de fugitif traqué et apeuré valait-elle mieux que la mort? Valait-elle mieux qu’une reconnaissance de ses crimes? La fuite n’aura apporté à Mengele que la peur et l’angoisse, elle l’empêché de vivre, elle l’a détourné des siens, elle lui a détruit la santé. Tellement certain de son bon droit, il n’a jamais cessé d’affirmer qu’il était une victime, il n’a jamais remis en question son comportement présent ou ses crimes passés. Mengele avait l’impunité de ceux qui se sont sentis supérieurs toute leur vie.

Mengele est un personnage tellement détestable, un archétype de psychologie de boulevard : imbu de lui-même jusqu’à l’extrême, il a trouvé dans l’idéologie nazie le tremplin parfait pour servir ses ambitions. Olivier Guez joue ici sur notre envie de haïr ce criminel de guerre, en le présentant souvent comme un homme perdu, victime de sa situation, et en nous rappelant l’instant suivant sa nature profondément pernicieuse qui l’amène à se mêler de tout, à faire la leçon à tout le monde en permanence.

On retrouve ici encore la notion de « banalité du mal« : Mengele est persuadé de n’avoir fait que « son devoir« , comme il l’indique à son fils quand celui-ci vient chercher des réponses. Il se présente lui-même comme un exécutant, là où il a souvent été l’instigateur – notamment pour toutes les expériences inhumaine infligées aux prisonniers des camps. Il parvient magnifiquement à justifier ses crimes, dans leur contexte, dans leur nécessité et leur cohérence, et nous ne pouvons nous empêcher d’admirer sa logique, toute cruelle  et aberrante qu’elle soit.

Olivier Guez a réussi à donner vie ici à Josef Mengele, dans toute la complexité de ce personnage simplement honni, et pourtant terriblement complexe. C’est un roman qui sent l’exactitude historique à plein nez, avec des citations réelles, des anecdotes contextuelles à propos, mais c’est heureusement un roman, sans les travers que je reproche souvent aux reconstitutions historiques : nous, lecteurs, n’avons pas l’impression de lire un documentaire. Il distille habilement les informations sur les exactions commises par Mengele, pour qu’on ne le haïsse pas tout de suite, pour qu’on ait pitié, puis il assène comme un coup de grâce le détail de ses expérimentations au camp. A la fin, aucun doute, on regrette que Mengele n’ait jamais eu à répondre de ses crimes. Surtout lorsque quelques dates présentées dans l’épilogue nous rappellent que tout cela n’a eu lieu que qu’une ou deux dizaines d’années avant notre naissance, que le fils de Mengele est toujours vivant, ainsi que d’autres personnages de ce récit.

Comme le souligne parfaitement Olivier Guez dans sa conclusion, les hommes ont l’oubli facile : même les pires atrocités sont finalement laissées de côté, oubliées. Qui, dans ma génération, celle des enfants du XXIème siècle, connait Josef Mengele? Je vous l’avoue, ce n’était pas un nom qui m’était familier avant de lire ce récit. Désormais, c’est un nom que je n’oublierai pas.


Résumé de l’éditeur :

1949  : Josef Mengele arrive en Argentine.
Caché derrière divers pseudonymes, l’ancien médecin tortionnaire à Auschwitz  croit pouvoir s’inventer une nouvelle vie à Buenos Aires. L’Argentine de Peron est bienveillante, le monde entier veut oublier les crimes nazis. Mais la traque reprend et le médecin SS doit s’enfuir au Paraguay puis au Brésil. Son errance de planque en planque, déguisé et rongé par l’angoisse, ne connaîtra plus de répit… jusqu’à sa mort mystérieuse sur une plage en 1979.
Comment le médecin SS a-t-il pu passer entre les mailles du filet, trente ans durant  ?
La Disparition de Josef Mengele est une plongée inouïe au cœur des ténèbres. Anciens nazis, agents du Mossad, femmes cupides et dictateurs d’opérette évoluent dans un monde corrompu par le fanatisme, la realpolitik, l’argent et l’ambition. Voici l’odyssée dantesque de Josef Mengele en Amérique du Sud. Le roman-vrai de sa cavale après-guerre.


Ses débris, livrés aux manipulations des médecins apprentis de l’université de São Paulo : ainsi se termine la cavale de Josef Mengele, plus de soixante-dix ans après la fin de la guerre qui anéantit un continent cosmopolite et cultivé, l’Europe. Mengele, ou l’histoire d’un homme sans scrupules à l’âme verrouillée, que percute une idéologie venimeuse et mortifère dans une société bouleversée par l’irruption de la modernité. Elle n’a aucune difficulté à séduire le jeune médecin ambitieux, à abuser de ses penchants médiocres, la vanité, la jalousie, l’argent, jusqu’à l’inciter à commettre des crimes abjects et à les justifier. Toutes les deux ou trois générations, lorsque la mémoire s’étiole et que les derniers témoins des massacres précédents disparaissent, la raison s’éclipse et des hommes reviennent propager le mal.
Puissent-ils rester loin de nous, les songes et les chimères de la nuit. Méfiance, l’homme est une créature malléable, il faut se méfier des hommes.

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