Mille Soleils - Nicolas Delesalle - Janvier 2018 - Preludes - the unamed bookshelfNon, ça n’arrive pas qu’aux autres. Chacun d’entre nous peut se retrouver un jour dans une voiture partant en vrille sur une route d’Argentine. Vadim, Alexandre, Wolfgang et Simon faisaient partie de ceux qui pensent que ça n’arrive qu’aux autres, ils n’ont pas fait particulièrement attention, et ce comportement leur a été fatal. Confrontés à la situation la plus atroce, la plus désespérée de leur vie entière, chacun va réagir à sa façon, chacun va laisser s’exprimer ses névroses et son héroïsme inné, chacun va chercher à garder la tête froide, à survivre. A quelques kilomètres de là, Mathilda parcourt elle aussi les routes d’Argentine. Arrivée d’Alaska, ayant abandonné sa vie de chirurgien-dentiste et sa famille depuis sept mois, elle cherche à se retrouver, derrière ses cinquante-neuf ans, ses rides et son affaissement. Une journée pour changer quatre vies, de fond en comble.

Les hommes tombent parfois de la toile qu’ils ont passé leur vie à tisser et, dans leur chute, agissent exactement contre ce qu’ils sont.

Et vous, que feriez-vous si vous vous retrouviez demain près d’une carcasse déglinguée, à quelque pas du cadavre d’un de vos amis? C’est véritablement cette question que pose ce roman psychologique magistral. A travers l’histoire de Vadim, Alexandre, Wolfgang et Simon, il interroge le sens de la vie, de nos choix, de ce qui nous tient à coeur. Coincés dans le désert, confrontés à la probabilité de leur mort prochaine, chacun appelle à lui des souvenirs précis, chacun se focalise sur ses raisons de vivre, une femme unique pour l’un, la perspective de l’avenir et la force d’avoir réussi pour les autres.

On ne peut pas se coucher tous les soirs en se disant que c’est le dernier. On ne peut pas vivre chaque instant comme si on allait mourir dans l’heure suivante. C’est un idéal de cinéma, de littérature ou d’adolescent. Ce n’est pas la vie. La vie est fatigante. Il faut aller se coucher.

Les éditeurs ont toujours tendance à dire que les romans qu’ils publient restent en tête une fois refermé – c’est souvent une mauvaise publicité de quatrième de couverture. Mais pas ici. Ce récit reste en tête pendant tout le temps de la lecture, une fois le livre refermé, on continue à y réfléchir en vaquant à nos occupations. La dernière page tournée, on reste avec un sentiment d’inachevé, de nouveau commencement et de renoncement aussi. L’histoire ne s’arrête pas vraiment là pour nos personnages, mais c’est à nous d’imaginer la suite finalement. L’auteur nous offre les évènements clés, les méandres de leurs pensées, de leur passé et de leur présent, mais leur futur nous appartient. Libre à nous de croire qu’ils s’en remettront, qu’ils reprendront leur vie comme avant, ou libre à nous d’imaginer qu’il commémoreront cette journée pour le reste de leurs jours.

Histoire tragique, ce n’est pourtant pas un roman noir et désespéré. Malgré la situation des protagonistes, malgré l’omniprésence de la mort et de la vieillesse, malgré l’incertitude ambiante, la plume de l’auteur garde un certain humour, un certain cynisme qui n’en est pas un, vu la situation, un petit grain de folie qui nous fait sourire et nous donne foi en l’avenir. C’est fou ce qui traverse l’esprit d’un homme quand il sent sa fin proche. L’humour, l’ironie, sont parfois les seuls moyens de relativiser, le prendre du recul, de voir les choses différemment, ou tout simplement de continuer à avancer. Quelque part, Mille soleils est un roman où quelqu’un meure mais où l’espoir demeure.


Résumé de l’éditeur:

Ils sont quatre, réunis en Argentine par le travail et des passions communes. Vadim le taiseux aime la physique des particules, et le bel Alexandre a installé des panneaux solaires sur les 1 600 cuves de l’observatoire astronomique de Malargüe. Avec ses yeux clairs, Wolfgang est un astrophysicien rêveur, spécialiste des rayons cosmiques d’ultrahaute énergie. Quant au jeune Simon (qui consulte toujours Clint Eastwood avant de se décider), il doit écrire un article sur ces rayons pour le CNRS. Ils ont quelques heures pour parcourir 200 kilomètres de piste et prendre leur avion à Mendoza. Pourtant, en une seconde, leur existence va basculer.
Que faire quand le drame survient et que, du haut d’un volcan, seul le ciel immense de la pampa vous contemple ?
Avec ce huis clos à ciel ouvert, Nicolas Delesalle signe une histoire d’une intense émotion parcourue de paysages sublimes, d’instants tragiques mais aussi d’humour et de poésie. Un roman envoûtant, qui reste longtemps en tête une fois le livre refermé.


Beaucoup de routards n’étaient pas partis pour vivre libres ou pour échapper au capitalisme sauvage ; ils n’étaient pas partis pour fuir non plus ; ils s’étaient simplement mis en marche pour avancer tous les jours, avancer, avancer, avancer toujours, comme si la pire des situations pouvait être l’arrêt, l’immobilité, une petite mort, un abandon, comme s’ils risquaient alors d’être pris de vertiges et de tomber, au sol ou sur leur reflet dans le miroir. D’autres, au contraire, n’avaient rien à oublier, rien à laisser loin derrière eux, ils sentaient juste au fond de leurs tripes un vide trop grand, une insuffisance à nourrir ; ce petit morceau de néant que chacun porte en soi prenait chez eux tant d’importance qu’il fallait partir en chasse et, en chemin, jeter dans le trou intérieur les visages, les couleurs, les parfums recueillis au fil des jours ; chacun a ses raisons, même si les voyages sont comme certains crimes : ils se passent de mobiles.

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