🏆 Prix Goncourt 1978

Guy Roland ne sait rien de son passé. Son nom, il le doit aux relations de son patron, baron balte, ancien joueur de tennis, lui aussi amnésique et reconverti en détective privé. Lorsque ce dernier prend sa retraite, Guy Roland décide de retrouver les traces de son passé. De rencontre fortuite en coïncidences douteuses, il retrouve peu à peu le fil d’une histoire qui pourrait être la sienne, l’histoire d’un homme qui s’appelait Pedro McEvoy ou peut-être autrement. De trafiquants russes en pianistes déchus, de femmes fatales en fuites éperdues, Guy Roland va petit à petit reconstituer l’histoire de sa vie oubliée, de sa vie passée, et surtout, se rapprocher du drame l’ayant fait perdre la mémoire.

Dans le Paris d’après-guerre, encore tout chamboulé des atrocités commises sous l’Occupation, un homme amnésique se cherche, croit se trouver, se perd pour mieux se retrouver. Enquête authentique avec documents solides à l’appui, livrés en pagaille au gré des pages, c’est aussi une enquête au plus profond d’un homme, au coeur de sa mémoire enfuie mais à laquelle il ne manque qu’un début de souvenir pour revoir le jour. Au fur et à mesure du récit, le narrateur retrouve des bribes de son passé, épisodes épars revenant par vagues à la vision d’un objet, d’une situation anciennement familiers. Son chemin l’amène à questionner toutes sortes de personnages, plus étranges les uns que les autres, tous pétris d’insécurité et de regrets pour cette vie perdues qu’ils évoquent à contrecoeur.

J’avais marché jusqu’à la fenêtre et je regardais, en contrebas, les rails du funiculaire de Montmartre, les jardins du Sacré-Coeur et plus loin, tout Paris avec ses lumières, ses toits, ses ombres. Dans ce dédale de rues et de boulevards, nous nous étions rencontrés un jour, Denise Coudreuse et moi. Itinéraires qui se croisent, parmi ceux que suivent des milliers et des milliers de gens à travers Paris, comme mille et mille petites boules d’un gigantesque billard électrique, qui se cognent parfois l’une à l’autre. Et de cela, il ne restait rien, pas même la traînée lumineuse que fait le passage d’une luciole.

Roman policier ou roman initiatique, historique, philosophique ? La question se pose et la réponse reste en suspens. Chaque rencontre, chaque recoin de Paris soulève une multitude de questions, de réflexions de la part du narrateurs, certaines explicitées, d’autres seulement suggérées. La prose de Patrick Modiano nous emmène, nous entraîne vers des réflexions sur la vie, son sens et sa direction, sur l’identité et le destin des hommes entraînés par l’histoire. Immigré, faussaire, amoureux, mais qui donc était vraiment Pedro McEvoy? Un nom suffit-il à changer une personne? Quelques souvenirs flous suffisent-il à rendre à un homme sa vie passée?

Je ne suis rien. Rien qu’une silhouette claire, ce soir-là, à la terrasse d’un café. J’attendais que la pluie s’arrêtât, une averse qui avait commencé de tomber au moment où Hutte me quittait.

La question de l’identité n’a pas de réponse, pas plus qu’elle n’en avait pendant l’Occupation quand tout un chacun s’arrangeait pour être un autre, pas plus qu’elle n’en a dans ce roman en queue de poisson. Le roman s’achève et Guy Roland n’est pas arrivé au bout de sa quête. Nous, lecteurs, qui voyons-nous au moment où nous refermons ce livre? Guy Roland ou Pedro McEvoy? Sont-ils un seul et même hommes ou deux inconnus liés par l’incongruité d’un destin? Est-ce que cela compte vraiment finalement? Cette quête n’aura sûrement jamais de fin, le hasard des rencontres et des indices aurait probablement entraîné notre narrateur dans une impasse. Alors nous imaginons la fin que nous voulons, nous sommes libres, nous lecteurs, de tirer nos propres conclusions de cette enquête incongrue et pourtant passionnante.

Une ballade à travers un Paris que nous ne connaissons plus, des hasards improbables qui pourtant nous ravissent, l’histoire haletante d’un homme à la recherche de lui-même : c’est le premier Modiano que je lis, et j’en suis séduite.


Résumé de l’éditeur:

Qui pousse un certain Guy Roland, employé d’une agence de police privée que dirige un baron balte, à partir à la recherche d’un inconnu, disparu depuis longtemps ? Le besoin de se retrouver lui-même après des années d’amnésie ?

Au cours de sa recherche, il recueille des bribes de la vie de cet homme qui était peut-être lui et à qui, de toute façon, il finit par s’identifier. Comme dans un dernier tour de manège, passent les témoins de la jeunesse de ce Pedro Mc Evoy, les seuls qui pourraient le reconnaître : Hélène Coudreuse, Freddie Howard de Luz, Gay Orlow, Dédé Wildmer, Scouffi, Rubirosa, Sonachitzé, d’autres encore, aux noms et aux passeports compliqués, qui font que ce livre pourrait être l’intrusion des âmes errantes dans le roman policier.


Je crois qu’on entend encore dans les entrées d’immeubles l’écho des pas de ceux qui avaient l’habitude de les traverser et qui, depuis, ont disparu. Quelque chose continue de vibrer après leur passage, des ondes de plus en plus faibles, mais que l’on capte si l’on est attentif. Au fond, je n’avais peut-être jamais été ce Pedro McEvoy, je n’étais rien, mais des ondes me traversaient, tantôt lointaines, tantôt plus fortes et tous ces échos épars qui flottaient dans l’air se cristallisaient et c’était moi.

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