Les passagers du siècle - Viktor Lazlo - Editions Grasset - Rentrée littéraire de Janvier 2018 - the unamed bookshelf

Arrivée au seuil de sa vie, Fleur Desvérieux Gaudrèche fait face à son terrible héritage, l’incroyable histoire portée par ses parents, témoins et victimes des pires crimes de l’humanité, l’esclavage et l’extermination des juifs. Née d’un père polonais et d’une mère d’origine africaine, élevée en Martinique française, Fleur a vécu sa vie en choisissant de ne pas porter le fardeau de ses parents. Ses derniers jours arrivés, elle ressent le besoin de raconter, de transmettre son histoire à un journal qui lui survivra. Entre les pages de confession épistolaire, nous sont racontées les histoires de Yamissi, jeune princesse africaine capturée puis vendue sur un marché d’esclaves à Cuba à un marchand polonais, de Magda Wotchek, polonaise pauvre élevant seule ses cinq enfants au milieu des troubles anarchistes et ouvriers du début du XXème siècle, de Sarah Wotchek, ouvrière engagée politique, enfermée avec sa famille dans un ghetto juif dès 1941. A travers l’histoire de Fleur et de ses parents, se croisent des destins brisés par l’Histoire d’hommes et de femmes à la merci de leurs origines.

Nègres ou juifs, quelle importance, nous errons tous d’une étrange et languide manière. Josefa pensa qu’ils n’étaient que des gens qui descendaient des bateaux, la cale et l’entrepont, le bois grinçant et les sargasse puantes, telle était leur ascendance.

Incroyablement bien écrite, cette grande fresque historique nous transporte à travers les années, nous parle de politique, de liberté, de commerce et de tant d’autres choses. L’histoire d’une famille nous transporte du XIXème au XXème siècles, sur ces quelques années qui ont chamboulé l’humanité : la fin de la traite négrière, dont l’abolition a été plus ou moins bien respectée selon les pays, les deux guerres mondiales et le règne du nazisme. Sur les pages évoluent les mentalités des personnages, leur façon de vivre et d’appréhender les autres autour d’eux, mais s’entrechoquent aussi et surtout les différentes générations avec leurs anciennes habitudes, leurs difficultés à admettre et à adopter le changement.

La construction du récit est très bien réalisée et nous donne constamment l’envie de continuer à lire, de connaitre la fin de l’histoire, d’avoir le fin mot de la vie de nos personnages, on commence par la fin, pour progressivement arriver au début et terminer sur les dernières années de Samul Wotchek, père de Fleur et juif polonais, rentré au pays au début de la guerre de 39-45 pour veiller sur les siens. On a vraiment le sentiment incroyable d’y être, dans cette petite histoire familiale imbriquée dans la grande, de comprendre ce que ces personnages ont pu vivre et ressentir, d’être un peu à leur place, juste le temps d’un livre. Ils sont tous attachants ces personnages avec leur fardeau si lourd à porter, avec leurs rêves explosés en plein vol, avec leurs petits bonheurs quotidiens si vite partis en fumée.

Il n’y a que Fleur finalement qui nous semblerait presque insupportable, avec sa petite vie sans relief sur son île, son égocentrisme latent, ses caprices de petite fille couvée. Et pourtant, elle nous montre à quel point il est facile pour les nouvelles générations, pour ceux qui sont loin, d’oublier la réalité de ce que leurs proches ont pu subir, de ce qu’ils sont encore en train de subir. Du traitement subi par sa grand-mère, vendue comme une esclave puis comme une prostituée, elle ne garde que le soin apporté à sa propre peau pour qu’elle reste claire. De la religion de son père ou du sort de ses tantes et cousins persécutés en Europe, elle ne garde rien, un vague sentiment révolutionnaire passager, ce qui ne l’empêche pas d’épouser un homme aux idées catholiques radicales. Fleur tourne le dos au passé de ses parents, un passé mal connu, dissimulé aux yeux des autres, un passé honteux que les Gaudrèche, avec leur nom d’emprunt et leur nouveau départ, avait préféré laisser derrière eux. Fleur ne fait que continuer cette tradition, elle oublie tout, elle se recentre sur elle-même et délaisse cette famille qu’elle ne connait pas.

Un roman très riche, en personnages, en émotions, en évènements, instructif et addictif à la fois, c’est une très bonne lecture que je recommande chaudement !


Résumé de l’éditeur:

Yamissi, arrachée à sa famille en Centrafrique pour être vendue comme esclave, est achetée à Cuba par Ephraïm Sodorowski, un marchand juif polonais. Un amour improbable naît entre ces deux êtres. Il se prolongera par la rencontre à Dantzig, quarante ans plus tard, de leur fille Josefa avec Samuel Wotchek, un anarchiste juif en quête de pureté.
L’odyssée de ces personnages, liés par leurs tragédies, s’adosse à la grande Histoire sur trois continents et cinq générations, de 1860 à nos jours.
Ce grand roman unit dans un ample mouvement la traite négrière et la Shoah, double expérience de l’horreur qui a façonné les héros sans qu’ils renoncent jamais à leur quête de liberté.


Magda Glusko, épouse de feu Izaak Wotchek, devint la femme en secondes noces de Mendel Kettelman, veuf d’Ava Mizrahi Kettelman, en la flambant neuve synagogue de Bialystok le 23 juin 1914, cinq jours avant l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie et de son épouse Sophie de Hohenberg. Ce qui arriva par la suite n’a aucun lien avec ce mariage étrangement mené.

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