Cosme Giquel est un flic sans histoire, un viking blond qui se contente de faire ses rondes dans la « Cité noire » de Versières, sans chercher de noises aux petits dealers. Jusqu’au jour où un jeune Beur est retrouvé mort après l’une de ses rondes, déclenchant des réactions en chaîne jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. De Beauvau à Larmor-Baden, chacun joue de ses influences pour avancer ses pions sur l’échiquier, tandis que le mystère autour de la mort de Driss continue à s’épaissir…
– Arrêtez avec ça. La communauté chrétienne ne présente pas ses excuses à chaque fois qu’un prêtre caresse un enfant de choeur. Et, que je sache, personne n’attend d’excuses des juifs français quand les Israéliens massacrent des Palestiniens. Pourquoi plaider coupable pour des crimes qui nous révulsent ?
J’ai ouvert ce livre en pensant qu’il ne me surprendrait pas plus que ça. Je l’ai refermé en me disant que décidément, l’auteur savait bien mener son lecteur en bateau : je n’avais rien vu venir, j’étais tellement occupée à essayer de démêler le vrai du faux, que je n’ai même pas essayé de résoudre le point le plus crucial de toute cette intrigue. Chaque chapitre étant raconté par un protagoniste différent, à travers son propre prisme et son point de vue restreint sur l’affaire, chaque chapitre contredit le précédent, dit l’inverse de ce qu’annonçait l’autre et nous pousse à faire la part des choses par nous-mêmes. Il n’y a pas de vérité unique dans ce roman, seulement des intérêts plus ou moins épars, des ambitions plus ou moins similaires, des magouilles plus ou moins légales. Qui a raison? Qui a tort? Impossible de le dire, chacun ment ou cache quelque chose, personne ne joue franc jeu – et c’est là toute la beauté de ce texte.
– Il y a les rêves socialistes : accueillir tout le monde. Puis il y a ceux de droite : foutre tous ces intrus dehors. Et, au milieu, il y a nous : en éliminer autant que possible en proclamant notre passion pour le droit d’asile.
Ici, pas de quartier. Les mots sont crus, les discours violents, les opinions tranchées. Aucun personnage ne fait dans la demi-mesure, et chacun en son fort intérieur hait les autres autant qu’ils le haïssent eux-mêmes. Le respect est une notion floue, qui se gagne plus qu’elle ne se mérite et qui s’envole dès que celui qui l’avait gagné perd de son intérêt premier. Les stéréotypes ont la vie dure : aucun personnage n’est ce qu’il est supposé être dans l’imaginaire collectif, par ailleurs largement disséqué dans chacun des chapitres. La femme Algérienne voilée est une riche patronne de PME qui cache bien son jeu, le commissaire chargé de la plus difficile banlieue un petit minet frileux, le dealer le plus respecté un homosexuel dur à cuire. Dans cette France démystifiée où le racisme et les préjugés sont rois, seuls les riches bourgeois sont égaux à eux-mêmes, tous les autres cachant une réalité bien plus complexe que celle répandue dans l’opinion publique.
S’il ne faut pas lire seulement des livres comme celui-ci, sous peine d’être franchement dégoutté de notre société, il est bon de s’y plonger parfois, pour prendre une distance critique sur notre entourage, admirer l’habilité de l’auteur quand il tourne en dérision absolument tout le monde, et se faire happer par le suspense d’une telle affaire.
Dans la « Cité noire » de Versières, territoire oublié par la République, un adolescent d’origine maghrébine est retrouvé mort en bordure d’une voie de RER. La veille, il avait été poursuivi par un jeune gardien de la paix. Tout semble indiquer que ce dernier n’y est pour rien, mais qu’importe : les jeux sont faits. La police, la famille, les grands frères, la mairie, les avocats, la presse, les « consciences » – tous s’en mêlent, chacun y cherche son compte mais personne ne semble se préoccuper de l’essentiel : qui est le véritable coupable ?
De l’Élysée au ministère de l’Intérieur, d’un commissariat à une piscine de luxe en passant par la rédaction d’un magazine d’information, L’Ère des suspects nous conduit au cœur d’une société du mensonge et du faux-semblant où les « victimes » servent de dépouilles médiatiques aux tartuffes qui nous gouvernent.
Entre thriller politique et comédie du pouvoir, Gilles Martin-Chauffier signe ici son Bûcher des vanités à la française : un roman ambitieux sur les impostures de notre temps.
La France, c’est l’Inde et l’Angleterre réunies : une société de castes aussi infranchissables qu’inavouées. A quinze ans, si tu n’as pas derrière toi dix années de scolarité chez les jésuites et un dossier d’inscription prêt pour les grandes prépas, tu peux te rhabiller, il ne te reste qu’à faire bouffon à la télé ou joueur de foot. Pour les Beurs ou les sans-dents, la vie n’est qu’une salle d’attente. Même pas confortable. Et pourtant, eux, de leur côté, les vrais Français, les Gaulois, quelle pitié !
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Moi aussi j’ai beaucoup aimé !
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