Un fils obéissant, Laurent Seksik, Flammarion, Rentrée littéraire 2018Dans la tradition juive, quand un père meurt, son fils doit le pleurer pendant un an complet, en récitant chaque jour le Kaddich. Au terme de cette année de deuil, le fils se rend sur la tombe de son père pour y dire quelques mots. C’est ce voyage que nous raconte ici Laurent Seksik, son voyage à lui vers Israël pour cette dernière visite rituelle à son défunt père. Ces quelques heures d’avion sont l’occasion de revenir sur les moments partagés ensemble, les joies et les tristesses, sur les légendes familiales racontées pendant l’enfance, mais c’est aussi l’occasion d’échanger avec une inconnue sur les liens familiaux, sur la vocation d’auteur, sur la perception de la vie.

Contrairement à certaines idées reçues, un romancier n’est pas un intellectuel. Sa pensée n’a rien d’abouti, d’affirmé, ses doutes le font avancer sur le magma informe de son imaginaire et de sa sensibilité. Son œuvre se bâtit à l’instinct. Le flou et l’inachevé de sa réflexion sont le lieu où se construit son récit, le tohu-bohu où ses personnages prennent vie. Les idées claires donnent des romans insipides. L’auteur avance dans son roman, aveugle à la propre histoire qu’il raconte. Il capte le sens de son travail à la seconde où il écrit le mot fin. L’instant d’après, le vertige le reprend, il ne reconnaît plus les lieux qui semblaient avoir forgé son identité. Une fois imprimé, le livre est comme un oiseau mort.

Quel plaisir de retrouver la plume de Laurent Seksik ! Découvert grâce au Cas Eduard Einstein, c’est un auteur que j’apprécie énormément, pour l’intelligence de ses romans très bien documentés, pour son style imagé et recherché mais aussi pour la proximité qu’il arrive à créer avec son lecteur. Ici, plus qu’une proximité, il créée une intimité, il laisse le lecteur entrer dans sa vie personnelle, entrevoir ses relations avec ses parents, apprécier le parcours atypique de ce médecin devenu écrivain à plein temps. Pour la première fois, Laurent Seksik se livre, il se dévoile petit à petit, agrémentant sa propre histoire de celles qui l’ont traversée : l’histoire de son père, ce « Marcello Mastroianni séfarade » attachant et attaché, mais aussi l’histoire de son grand-oncle, Victor, aventurier s’il en est et ancien soldat de la Grande Guerre. Plusieurs vies s’entremêlent ici, des membres de la famille, des inconnus rencontrés au hasard, des fragments de l’Histoire du monde.

Quel bel hommage que celui-ci ! On sent que l’auteur ne veut pas laisser son père lui échapper tout à fait, il veut continuer à honorer sa mémoire tous les jours, il veut continuer à le garder auprès de lui. Quel meilleur moyen pour le faire que de lui dédier un livre, à lui qui a été si fier de la réussite littéraire de son fils? Cet amour  filial incommensurable nous émeut, raconté si délicatement, avec tant de sincérité. Mes yeux se sont plusieurs fois embués, tant certains passages étaient chargés d’émotion. Mais j’ai ri aussi de l’humour de ce père, à la fois juste et fou, un père formidable. Ce livre n’a pas dû être facile à écrire pour Laurent Seksik, mais c’est définitivement un de ses plus réussis, par son unicité et par la force de cette autobiographie qui n’en est pas une.


Résumé de l’éditeur:

Un homme se rend sur la tombe de son père un an après sa disparition pour y tenir un discours devant une assemblée de proches.

Le neuvième roman de Laurent Seksik, le premier où il ose le je, embrasse une vie d’amour filial. Ce voyage entre présent et passé entremêle l’épopée prodigieuse d’un grand-oncle dans le siècle, le parcours initiatique d’un garçon obéissant qui réalisera le rêve de son père d’avoir un fils écrivain et le tragique de la perte de l’être cher. D’une rare puissance émotionnelle, Un fils obéissant déploie toute la splendeur et les vicissitudes des liens familiaux, qu’ils nous entravent ou nous transcendent.


Depuis un an, excepté des classiques relus comme par devoir, je n’arrive pas à entrer dans un roman. Le charme n’agit plus, ma lecture ne m’offre qu’un interminable catalogue de paysages sans âme aux décors de pacotille et d’être sans chair, délivrés de leurs souffrances, figés dans leurs mouvements, leurs pensées insondables, leurs actes arbitraires. Un personnage monte dans un train, je reste à quai. Un couple s’entre-déchire comme on se dit bonsoir avant d’aller dormir. Tous les amours sont possibles, les désirs assouvis, les faiblesses vaincues d’avance. Devant moi se succède une lente suite de mots sans magie, incapables du moindre écho, impuissants à traduire une idée, impropres à délivrer. Alignement de paragraphes comme transcrits par une plume exsangue, d’où aucune clarté ne tombe, aucun chant ne s’élève, aucune douleur ne s’imprime, aucun monde ne se dessine, aucune vérité ne surgit. Je tourne les pages d’un geste d’automate, étranger à celui qui parle. Je crois avoir perdu le goût de lire le jour où j’ai perdu mon père.

Plus d’informations et de citations sur Babelio.