Dans l’Egypte des années 80, un jeune garçon fait ce qu’on attend de lui, se conformant à des siècles de traditions inébranlables. Devenu médecin comme son père, il se marie avec son amour de jeunesse, projette de fonder une famille. Il passe le plus clair de son temps à soigner les autres, que ce soit à son cabinet de Dokki auprès de sa clientèle fortuné, ou parmi les plus démunis dans son dispensaire du Moqattam. Se dédie-t-il à ses patients pour mieux s’oublier lui-même ? La rencontre avec Ali va venir bouleverser l’équilibre instable qu’il s’est construit sur les attentes des autres. Libre par contrainte, détaché des contraintes sociales qui enchaînent Tarek, Ali le fascine, et l’amène à reconsidérer cette vie construite sur des non-choix, au point de l’amener à la détruire entièrement.

Eric Chacour étonne par la virtuosité de sa plume dans ce premier roman magnifiquement écrit. Séparant son texte en plusieurs parties, il parvient à créer la surprise et harponner le lecteur jusqu’à la dernière page, sans que jamais l’intrigue ne tombe dans le domaine du convenu, de l’attendu. Il nous immerge dans les quartiers du Caire, nous fait découvrir ce qui se cache derrière les portes closes des foyers de différentes confessions, il nous montre l’envers du décor, les subtilités qui expliquent tout, les traditions qui légitiment les contraintes et le désaveu. S’attaquant à la question taboue de l’homosexualité, il souligne la violence d’une société intolérante où chacun doit se conformer à ce qui est attendu de lui, où l’honneur et la réputation prennent toute la place, surtout dans les communautés menacées par le regain nationaliste qui ne cesse de grandir depuis Nasser.

Comme beaucoup, ce récit m’a émue aux larmes, cette tentative désespérée de comprendre, de reconstituer, d’imaginer ce qui a été tu pour faire sens d’une histoire qu’on subit malgré soi. Tarek se découvre par inadvertance, jeune privilégié ignorant les ravages que peuvent causer son inconséquence, à la recherche d’un bonheur qui lui sera à jamais interdit. C’est touchant, tellement naïf que ça en devient rageant, on voudrait lui dire, lui crier de tout laisser tomber, de penser aux conséquences, de tourner la page, de continuer à suivre son chemin tout tracé. Mais le coeur a ses raisons que la raison ignore, et cette histoire en est un bel exemple.


Résumé de l’éditeur:

Le Caire, années 1980. La vie bien rangée de Tarek est devenue un carcan. Jeune médecin ayant repris le cabinet médical de son père, il partage son existence entre un métier prenant et le quotidien familial où se côtoient une discrète femme aimante, une matriarche autoritaire follement éprise de la France, une sœur confidente et la domestique, gardienne des secrets familiaux. L’ouverture par Tarek d’un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam est une bouffée d’oxygène, une reconnexion nécessaire au sens de son travail. Jusqu’au jour où une surprenante amitié naît entre lui et un habitant du lieu, Ali, qu’il va prendre sous son aile. Comment celui qui n’a rien peut-il apporter autant à celui qui semble déjà tout avoir ? Un vent de liberté ne tarde pas à ébranler les certitudes de Tarek et bouleverse sa vie.

Premier roman servi par une écriture ciselée, empreint d’humour, de sensualité et de délicatesse, Ce que je sais de toi entraîne le lecteur dans la communauté levantine d’un Caire bouillonnant, depuis le règne de Nasser jusqu’aux années 2000. Au fil de dévoilements successifs distillés avec brio par une audacieuse narration, il décrit un clan déchiré, une société en pleine transformation, et le destin émouvant d’un homme en quête de sa vérité.


Un jour, il t’apparaîtrait pourtant avec évidence qu’il n’existe que très peu d’adultes véritables. Que nul ne se départ tout à fait de ses peurs originelles, de ses complexes adolescents, du besoin inassouvi de venger ses premières humiliations. On s’étonne encore de déceler une réaction puérile chez un de nos semblables, mais c’est une grossière erreur : il n’y a pas d’adultes au comportement d’enfant, il n’y a que des enfants qui ont atteint l’âge où le doute est honteux. Des enfants qui finissent pas se conformer à ce que l’on attend d’eux : qui renoncent à la moindre remise en question, affirment sans plus trembler, méprisent la différence. Des enfants aux voix rauques, aux cheveux blancs, à l’alcool facile. Bien des années plus tard, tu finiras par comprendre qu’il faut les fuir quoi qu’il en coûte. Mais en ce temps-là, ils te fascinaient.

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