Mémoires d'Hadrien Marguerite Yourcenar Folio ReadingClassicsChallenge2018 The Unamed Bookshelf

#ReadingClassicsChallenge2018

Hadrien, empereur romain dont le nom est resté dans l’histoire, ne serait-ce que par ce mur, séparant l’Angleterre de l’Ecosse, qui porte toujours son nom. C’était là toute l’étendue de mon savoir sur la vie de cet homme illustre, avant d’entamer la lecture de ses Mémoires, imaginées par Marguerite Yourcenar. J’étais loin d’imaginer le parcours ayant conduit ce petit provincial espagnol à prendre la tête de l’Empire romain, s’étendant à l’époque de l’Atlantique au bout de la Méditerranée, des côtes glaciales de l’Ecosse aux rivages brûlants du Nil. Un parcours semé d’embûches, d’ennemis, d’arbitrages et de quêtes, un parcours sur lequel Hadrien revient ici dans une longue confession de vieillard, ajoutant aux faits des réflexions philosophiques passionnantes, d’une extrême lucidité sur lui-même et sur le monde qui l’entoure.

Une partie de chaque vie, et même de chaque vie fort peu digne de regard, se passe à rechercher les raisons d’être, les points de départ, les sources. C’est mon impuissance à les découvrir qui me fit parfois pencher vers les explications magiques, chercher dans les délires de l’occulte ce que le sens commun ne me donnait pas. Quand tous les calculs compliqués s’avèrent faux, quand les philosophes eux-mêmes n’ont plus rien à nous dire, il est excusable de se tourner vers le babillage fortuit des oiseaux, ou vers le lointain contrepoids des astres.

Quand j’ai décidé de lire ce livre pour ce challenge, je n’aurais même pas parié le finir, encore moins l’apprécier. C’était pour moi ce monument littéraire inaccessible. Pourtant, ce fut un plaisir de me plonger dans la prose, certes très narrative, de Marguerite Yourcenar, de suivre Hadrien dans cette introspection au coeur de lui-même, ce qu’il a été, et ce qu’il est devenu. J’ai rarement lu un livre aussi bien écrit, aussi fluide, aussi intelligent et subtile. Chaque phrase nous transporte vers un ailleurs, fait naître en nous les sentiments de notre personnage éponyme, nous questionne et nous trouble. Le rythme soutenu des années écoulées, des anecdotes racontées par Hadrien et les alternances de passages réflexifs créent un mélange parfaitement dosé pour happer le lecteur dans ce destin incroyable.

Habilement, Marguerite Yourcenar distille des réflexions universelles, des passages dont on ne sort pas indifférents, puisqu’ils s’appliquent si parfaitement à notre propre situation. J’ai cru déceler également une certaine pointe d’humour dans les passages où Hadrien se projette vers l’avenir, imaginant un pontife chrétien installé à Rome, capitale de son empire, ou en dissertant sur les différentes formes de l’esclavage. Cette lecture nous donne à réfléchir sur nous-mêmes, sur les autres, sur le monde autour de nous et ses principes. Nous voyageons aussi, embarquant avec Hadrien dans ses périples, de l’Angleterre à Jérusalem, de la « Bretagne » à la Palestine nouvellement créée.

J’ai été touchée par l’indulgence des propos, l’indulgence de ce vieillard lorsqu’il se retourne sur sa vie. Il ne regrette rien, au contraire, il apprécie chaque occasion qui lui a été donnée d’apprendre et de grandir en tant qu’homme, il considère chaque erreur et détresse comme un passage obligé, une forme d’accomplissement.

Les Mémoires d’Hadrien sont une magnifique leçon de vie, une incroyable invitation à la réflexion, et un voyage extraordinairement réaliste dans la Rome antique. Je comprends désormais pourquoi c’est un véritable classique, et je le garde à portée de main pour le relire dans quelques années à nouveau.


Résumé de l’éditeur:

Cette œuvre, qui est à la fois roman, histoire, poésie, a été saluée par la critique française et mondiale comme un événement littéraire. En imaginant les Mémoires d’un grand empereur romain, l’auteur a voulu «refaire du dedans ce que les archéologues du XIXe siècle ont fait du dehors». Jugeant sans complaisance sa vie d’homme et son œuvre politique, Hadrien n’ignore pas que Rome, malgré sa grandeur, finira un jour par périr, mais son réalisme romain et son humanisme hérité des Grecs lui font sentir l’importance de penser et de servir jusqu’au bout.
«… Je me sentais responsable de la beauté du monde», dit ce héros dont les problèmes sont ceux de l’homme de tous les temps : les dangers mortels qui du dedans et du dehors confrontent les civilisations, la quête d’un accord harmonieux entre le bonheur et la «discipline auguste», entre l’intelligence et la volonté.


Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on développe chez eux, à l’exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. A cette servitude de l’esprit, ou de l’imagination humaine, je préfère encore notre esclavage de fait.

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