Le Club des veuves qui aimaient la littérature érotique, Balli Kaur Jaswal, Editions Belfond

Nikki vit de petits boulots depuis qu’elle a abandonné ses études de droit. Elle s’était contentée jusque là de travailler dans un bar, mais décide de diversifier ses activités quand elle tombe sur une annonce pour un club d’écriture à Southall. Jeune femme sikhe  émancipée après avoir été élevée par des parents assez traditionnels, elle est bien loin de se douter de l’aventure dans laquelle vont la plonger ces « cours d’écriture ». A l’initiative de quelques veuves surprenantes, ce cours d’écriture va devenir un lieu de partage, d’émancipation et de rédemption pour toutes les femmes pendjabies.

Véritable plongée dans le monde coloré de Southall, ce Pendjab miniature reconstitué au cœur de Londres, ce livre est incroyablement dépaysant. J’y ai retrouvé le Londres que je connaissais bien avec ses bars sombres et étouffants et ses métros surpeuplés, et puis j’ai découvert une nouvelle partie de cette ville, un quartier à part où l’Occident n’a pas droit de cité, où la modernité n’a pas encore percé, un lieu où les traditions sont préservées, un lieu où on ne sert que du dahl et des jalebis et où on ne boit que du chai. Au-delà du côté folklorique de ce quartier, l’auteur en fait ressortir les contradictions, les limites et les aberrations. Elle nous fait entrer sans plus de cérémonies dans l’intimité des femmes de la communauté pendjabie, dans leur quotidien de maîtresses de maison au service de leurs maris – et dans la solitude extrême des veuves qui n’ont pas su retenir leurs époux. Chaque instant que Nikki passe en présence de ces femmes ne fait que mettre en valeur leur exclusion, leur immobilité sociale, leur soumission – en comparaison, la jeune fille est incroyablement libre et moderne. C’est un combat constant entre Occident et Orient, entre tradition et modernité, entre hommes et femmes, un combat qui se joue à coups d’histoires érotiques et de rassemblements secrets.

Entraînée par sa curiosité naturelle, Nikki se pourra pas s’empêcher de s’immiscer dans les histoires sordides de la communauté, ces histoires de jeunes filles sacrifiées pour l’honneur, pour préserver leur famille de l’opprobre. Le club de lecture n’est que la face immergée de l’iceberg, une image simplifiée du carcan imposé aux femmes pendjabies, une façon amusante d’aborder le sujet et d’amener le lecteur à s’intéresser aux drames entraînés par ces traditions ancestrales dépassées. Habilement, l’auteur nous montre les conséquences désastreuses d’une culture aussi inflexible, en alternant humour et faits glaçants, rendant le récit absolument passionnant.

Une belle lecture, réaliste et décomplexée, intelligente et sensible, avec un message d’avenir pour toutes les femmes en quête d’indépendance.


Résumé de l’éditeur :

Généreux, émouvant et épicé, un roman qui questionne avec originalité et force la place des femmes orientales en Occident, leurs tiraillements entre traditions ancestrales et désir de liberté.

« Association sikhe recherche animatrice pour atelier d’écriture réservé aux femmes. » La bonne aubaine pour Nikki, Londonienne de vingt-deux ans, en quête désespérée d’un petit boulot.

Mais alors qu’elle pensait former des apprenties romancières, Nikki se retrouve face à un public inattendu : une dizaine d’Indiennes, de tous âges, majoritairement veuves, souvent analphabètes et dotées d’une imagination très, très fertile. Écrire ? Pensez-vous ! Elles, ce qu’elles veulent, c’est raconter : le choc culturel, la vie de famille, l’éducation des enfants. Raconter encore l’amour, le sexe et tous ces fantasmes enfiévrés qui leur traversent si souvent l’esprit. Raconter aussi la solitude, la soumission aux hommes, la violence, parfois.

Alors que la fréquentation de ce club débridé augmente de semaine en semaine, Nikki s’interroge : comment porter ces histoires au-delà des murs de la maison de quartier ? La jeune étudiante a une idée. Mais libérer la parole des femmes n’est jamais sans danger…


C’est où, Southall ?
La question la surprit. Depuis qu’elles étaient amies, elle avait forcément parlé de Southall à Olive. Mais après tout, elles s’étaient connues dans le secondaire, des années après que les parents de Nikki eurent estimé que ces incursions d’une journée au Pendjab créaient trop de problèmes. Au moins, Olive n’avait pas eu à l’entendre se plaindre de ces samedis entiers gâchés à chercher de la coriandre en poudre d’excellente qualité et des graines de moutarde.
Nikki s’arrêta et regarda autour d’elle. Il n’y avait que des femmes, la tête couverte – des femmes courant derrière leurs bambins, des femmes qui se regardaient de travers, des femmes voûtées appuyées sur des déambulateurs. Chacune avait une histoire. Elle s’imaginait parler à une pièce pleine de femmes pendjabies. Ses sens étaient maintenant submergés par la couleur des kameez, les froufrous du tissu et les crayons qui tapotent, l’odeur de parfum et de curcuma mêlés. Et son but se révéla dans toute sa clarté. « Certaines personnes ne connaissent même pas l’existence de cet endroit, dirait-elle. Il faut que ça change. » L’oeil ardent, avec acharnement, elles écriraient leurs histoires pour que le monde entier les lise.

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