Limonov - Emmanuel Carrère - Editions POL - Prix Renaudot 2011

🏆Prix Renaudot 2011

Son biographe disait de lui que « sa vie symbolise bien les rebondissements de la seconde partie du XXème siècle ». Limonov, c’est l’homme qui a tout vécu, celui dont on envie les aventures, même si finalement, au bout du chemin, on n’arrive plus tellement à se souvenir de tout ce qu’il lui est arrivé. Parce que ces quelques pages sont pleines de rebondissements, certains plus développés que d’autres, tous complètement différents, même carrément opposés. La seule chose qui relie ces aventures entre elles, c’est ce héros franchement étrange: Limonov. Qui ne s’appelle même pas vraiment Limonov en fait, mais Edouard Savenko.

Il y a de quoi s’y perdre dans cette histoire sans dessus dessous, avec tous ces personnages qui s’entremêlent, certains plutôt familiers, et puis d’autres franchement inconnus qu’on recroise au hasard des chemins, et dont on a tout oublié entre temps.

Heureusement, dans cet enchevêtrement de gens, aventures, lieux, il y a la voix apaisante, logique et sincère d’Emmanuel Carrère. Il ne fait pas que nous raconter l’histoire de Limonov, il ne fait pas que nous livrer sa vie sur un plateau, il y mêle ses propres réflexions. Qu’est-ce qu’on doit penser de ce personnage? Ce n’est franchement pas évident à tirer au clair. Mais l’auteur nous livre ses pensées, sa façon à lui de le voir, ce qu’il a appris de cette vie inhabituelle. Cela nous aide à faire le tri, à faire la part des choses. On sent qu’Emmanuel Carrère a essayé de se rapprocher au maximum de cet homme énigmatique et contradictoire, qu’il a fait des parallèles entre leurs vies, leurs idées et leurs aspirations. Il nous donne tout ça, sans enrobage, avec un vocabulaire direct et franc. Et ça fait son petit effet.

C’est le genre de biographies qui vous donne l’impression de n’avoir rien vécu. On finit ce livre, un peu déçus peut-être que Limonov n’ait pas concrétisé ses rêves, mais toujours envieux de toutes ses expériences, de sa force de caractère qu’il a pu mettre à l’épreuve dans les conditions les plus difficiles. Et nous, on est là, dans notre canapé, à lire tout ça, et à se demander si nous on aurait pu faire ça. Et bien non, on n’aurait pas pu. Et je pense que c’est pour ça qu’Emmanuel Carrère a voulu faire cette biographie. Parce qu’elle n’est juste pas croyable, pas réalisable. Et que n’importe qui n’aurait pas pu faire ça. Limonov, sans son égoïsme primaire, n’aurait jamais pu vivre tout ça. C’est tout ce qu’il est, tout ce en quoi il croit qui fait de lui cet aventurier instable, irrespectueux les règles et les conventions.

On n’a beau ne pas savoir quoi penser de cet homme, pour sa personnalité imbuvable, pour ses opinions politiques, pour sa violence et ses convictions, mais on ne peut pas s’empêcher de l’admirer, de l’envier.


Résumé de l’éditeur:

« Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement.

C’est une vie dangereuse, ambiguë : un vrai roman d’aventures. C’est aussi, je crois, une vie qui raconte quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. »

E.C.


Cette énergie, hélas, au lieu de me stimuler, m’enfonçait un peu plus, page après page, dans la dépression et la haine de moi-même. Plus je le lisais, plus je me sentais taillé dans une étoffe terne et médiocre, voué à tenir dans le monde un rôle de figurant, et de figurant amer, envieux, de figurant qui rêve des premiers rôles en sachant bien qu’il ne les aura jamais parce qu’il manque de charisme, de générosité, de courage, de tout sauf de l’affreuse lucidité des ratés. J’aurais pu me rassurer en me disant que ce que je ressentais là, Limonov l’avait ressenti lui aussi, qu’il divisait comme je le faisais alors l’humanité en forts et en faibles, gagnants et perdants, VIP et piétaille, qu’il vivait tenaillé par l’angoisse de faire partie de la seconde catégorie et que c’est précisément cette angoisse, si crûment exprimée, qui donnait sa force à son livre. Mais je ne voyais pas cela. Tout ce que je voyais, c’est que lui était à la fois un aventurier et un écrivain publié, alors que je n’étais et ne serais jamais ni l’un ni l’autre, la seule et dérisoire aventure de ma vie s’étant soldée par un manuscrit qui n’intéressait personne et deux cantines remplies de maillots de bain ridicules.

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