Terrible vertu Ellen Feldman Editions du Cherche midi The Unamed Bookshelf

Les femmes qui se battent pour une cause juste sont toujours admirables. Margaret Sanger, sa cause, c’était la contraception : début XXème siècle, les femmes n’avaient aucun moyen à leur disposition pour éviter de tomber enceinte, même quand elle n’avaient ni la santé pour enfanter, ni les ressources pour nourrir et vêtir un enfant de plus. Pour Margaret Sanger, élevée dans une famille de treize enfants par une mère à bout de forces, les femmes doivent avoir le droit de disposer de leur corps et les enfants doivent naître dans un environnement propice à leur épanouissement. Elle dédia sa vie à ce combat, révolutionnaire pour son époque, révoltant pour la société traditionnelle, inenvisageable pour la société masculine. Son combat a libéré des millions de femmes, tout en massacrant l’existence de ses quelques proches.

En effet, Ellen Feldman réussit ici un sacré challenge : elle démystifie cette femme admirable, en apportant une vision contrastée de cette héroïne des temps modernes. A travers de courts témoignages des proches de Margaret Sanger, elle met en valeur le coût de la lutte, l’impact de sa dévotion à la cause, les conséquences de son ambition nécessaire. On oublie souvent que l’Histoire se fait souvent au détriment de quelques uns, notamment de ceux qui restent dans l’ombre de ces héros, mais qui n’en sont pas moins admirables. Ici, ils ont une place prépondérante dans le récit, permettant au lecteur d’avoir un regard moins tranché sur Margaret Sanger, de voir ses failles et ses forces, ses erreurs et ses réussites.

L’auteure nous interpelle finalement sur le caractère de cette femme égoïste et déterminée, sur sa vie sexuelle dissolue et extravagante, sur ses choix parfois contradictoires mais toujours en faveur de la cause. Faut-il être auto-centré et ambitieux pour réussir à retourner l’opinion publique et à faire évoluer les lois ? Ou au contraire, l’engagement politique en faveur du bien commun ne peut-il pas être considéré comme une excuse ? Arrivés au bout du récit, on ne sait plus si on admire ou si on hait Margaret Sanger, cette femme atypique qui a fait tant de bien et tant de mal dans sa vie. Notre seule certitude, c’est qu’on n’a pas perdu notre temps avec cette lecture passionnante.


Résumé de l’éditeur:

« Le devoir d’une femme : regarder le monde bien en face, avec une lueur infernale dans les yeux ; avoir un idéal ; parler et agir en dépit de toutes les conventions. » Telle était la philosophie de Margaret Sanger et telle a été sa vie.
Portrait d’une des figures les plus influentes et les plus controversées du XXe siècle, ce roman met en scène cette femme indomptable.

Élevée dans un milieu pauvre, par une mère épuisée par treize grossesses, Margaret se fait très jeune le serment de ne jamais subir la vie d’une femme au foyer. Devenue infirmière à une époque où la contraception est illégale, elle décide de se consacrer aux femmes et met sur pied en 1916 la première clinique clandestine de contrôle des naissances. C’est le début d’une vie de luttes enfiévrées qui la conduiront à créer en 1952 le planning familial, avant de militer, par tous les moyens, pour la légalisation de la pilule. Son acharnement la conduira plusieurs fois en prison, elle sera contrainte de fuir les États-Unis pour l’Angleterre et la France, où, là encore, toujours aussi indomptable et provocante, elle poursuivra son inlassable combat pour l’égalité des sexes.

Ellen Feldman nous restitue ici la vie d’une femme hors du commun, mais aussi de ses proches, mari, amants, enfants, famille, dont l’existence a souvent été malmenée par cette héroïne en quête d’absolu, qui a changé la vie de toutes les femmes, peut-être aux dépens de la sienne.


Ici et là, un rectangle de lumière isolé perçait la nuit. Je songeai à toutes ces femmes dans tous ces appartements ; certaines, comme Sadie, étendues dans le noir les yeux grands ouverts, à se creuser la cervelle pour imaginer des moyens d’éviter ou d’interrompre une nouvelle grossesse que ni leur corps, ni leur budget, ni leur santé mentale ne pouvaient endurer ; d’autres, écartelées en silence, terrifiées, sous un homme en colère, ivre ou vengeur ; et d’autres encore, enivrées par le miracle de deux corps enlacés, encore inconscientes des conséquences. Nous étions piégées par les hommes, et par nous-mêmes.

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